Résumé :
Contexte : La fiabilité de la palpation ostéopathique en tant qu’outil diagnostique est controversée en raison de résultats incohérents et de diverses limites dans les recherches existantes. Cela souligne le besoin d’une compréhension approfondie de la nature de la palpation et de son évaluation.
Objectif : Réaliser une revue narrative des différentes limites que rencontre la littérature pour étudier la fiabilité palpatoire pour proposer d’autres modèles et permettre une méthodologie de recherche plus adaptée.
Méthodologie : Une recherche non systématique de la littérature a été réalisée sur les moteurs de recherche pubmed et google schoolar utilisant les mots clefs et les articles similaires.
Résultats : Les résultats des études peuvent être attribuées à des facteurs variés tels que la confiance dans la perception, l’effet de la répétition des tests, l’influence du relâchement des patients et des examinateurs, la recherche de lien entre palpation et douleur, et la focalisation sur la palpation mécanique. En intégrant des concepts comme l’intéroception, l’intuition, les mouvements idéomoteurs et le point de contact palpatoire, la compréhension de la palpation s’élargit, reflétant son usage en ostéopathie. Le toucher met en œuvre une perception plus large que simplement une perception extéroceptive ou mécanique.
Conclusion : La palpation est un outil fiable qu’il faut évaluer spécifiquement pour en tirer les conclusions adéquates. De nouveaux modèles sont possibles pour expliquer son fonctionnement. Pour valider ou infirmer ces modèles, il faudrait évaluer davantage les implications intéroceptives et intuitives avec des études de meilleure qualité, et tester la palpation selon des critères adaptés et spécifiques à ce que l’on ressent en consultation.
Des mains qui sentent et voient… vers l’être entier qui ressent
Introduction
Dans le monde de la thérapie manuelle, et plus particulièrement en ostéopathie, la palpation est un processus diagnostique et thérapeutique central. Son efficacité et sa fiabilité font l’objet d’intenses débats : les données provenant des études sont en effet interprétées de manière très différente par les professionnels selon leur connaissance et compréhension de l’ostéopathie. Ils peuvent ainsi aboutir à des conclusions opposées sur l’essence du toucher en ostéopathie.
Différentes études ont analysé la palpation diagnostique dans le monde médical, échouant à trouver une fiabilité suffisante (1-4). Une autre étude comme celle de Vismara et al. (2024) (5) a trouvé une bonne fiabilité concernant la palpation, mais ces résultats, bien que pertinents, peuvent manquer de validité externe, surtout lorsqu’ils sont comparés à des méta-analyses et des revues de littérature plus rigoureuses. Par exemple, la revue systématique de Nolet et al. (2021) (4) sur la palpation manuelle chez les patients souffrant de lombalgie utilise des critères rigoureux (QAREL et QUADAS-2) pour évaluer les biais, et bien que certaines études montrent des résultats contradictoires, cette revue souligne la nécessité d’études de haute qualité pour tirer des conclusions fiables. De même, Jonsson et Rasmussen-Barr (2017) (3) ont examiné les tests de mouvement et de palpation chez les patients souffrant de douleurs cervicales, soulignant la faible qualité des preuves sur la fiabilité des tests passifs.
Cependant, ces études présentent des limitations méthodologiques et des biais qui peuvent affecter les conclusions que l’on peut tirer sur tous les types de palpation utilisés dans les soins ostéopathiques
Cette revue narrative vise à clarifier ces débats en examinant des études sur la palpation diagnostique qui ne parviennent pas à démontrer une fiabilité en mettant en évidence les biais et les limitations potentiels. C’est une étape nécessaire pour évaluer si la validité externe est effectivement absente pour d’autres études trouvant une fiabilité ou si la palpation peut en effet être un outil fiable.
Une meilleure compréhension de la palpation faciliterait les méthodologies de recherche futures ainsi que les débats dans le domaine.
Cette recherche n’est pas systémique ; elle vise à mettre en évidence les biais potentiels présents dans l’évaluation de la palpation et à développer la compréhension de l’usage palpatoire en ostéopathie ainsi qu’à mettre en avant d’autres études sans ces biais.
La question principale est d’évaluer si la palpation est fiable ou non.
Hypothèse de Travail :
La palpation ostéopathique est un outil fiable lorsqu’elle est évaluée dans un cadre approprié prenant en compte des concepts plus subtils et holistiques tels que l’intéroception et l’intuition. Les études existantes échouent à démontrer cette fiabilité en raison de méthodologies inadaptées.
Méthodologie :
Les recherches ont été effectuées sur PubMed et Google Scholar avec les mots-clés suivants : « palpation reliability », « osteopathic palpatory reliability », « osteopathic palpation ». Des études supplémentaires ont été sélectionnées grâce à une navigation guidée par les « articles similaires » à partir des articles proposés par les moteurs de recherche. Des études déjà connues par l’auteur concluants à une non fiabilité de la palpation ainsi que d’autres en lien avec les arguments mis en avant dans l’article ont également été incluses en parallèle de la recherche.
Critères d’inclusion :
– Études concluant à la non fiabilité de la palpation
– Études évaluant la fiabilité palpatoire inter-examinateur et intra-examinateur.
– Études mettant en avant les biais et les limites de leur protocole de recherche
– Études développant le concept palpatoire en ostéopathie
Critères d’Exclusion :
– Études n’apportant pas de valeur ajoutée ou de contradictions supplémentaires par rapport à celles déjà présentes : Une valeur ajoutée ici est entendue comme un biais ou une limite présente dans une étude et qui n’aurait pas encore été analysée dans l’article
Chacune des études a ensuite été analysé pour relever les biais et limites, permettant de faire une synthèse et de les croiser avec une analyse du concept palpatoire ostéopathique, permettant une meilleure compréhension dans les résultats obtenus.
Résultats :
L’analyse de 3 revues systématiques et une étude randomisée récente (1-4) montrent plusieurs limites :
Limites des études sur la palpation :
– Variabilité de la perception de mobilité :
Quelle que soit la région ou structure évaluée, il est plus difficile pour un thérapeute de discerner une différence dans les cas de modifications légères de mobilité car celle-ci est minime. Au contraire, plus l’altération de mobilité sera élevée, plus il sera facile de la percevoir, comparativement au reste du corps ou au côté opposé. (6) Lorsque les études ne permettent pas aux thérapeutes d’exprimer le degré de modification de mobilité perçu (par exemple absent, léger, intermédiaire, important), il manque une donnée cruciale à analyser : le degré de confiance que l’ostéopathe accorde à son ressenti. Or, plus un ostéopathe est confiant dans son diagnostic, plus la fiabilité inter-thérapeute augmente (7). Il est donc pertinent de considérer l’introduction d’une échelle de mesure de la mobilité dans les évaluations futures.
– Répétition des tests et état de tension du patient et du thérapeute : Réaliser à plusieurs reprises des tests de mobilité sur un patient peut initier un mécanisme correctif, créant du mouvement et mobilisant les tissus. Ainsi, le thérapeute suivant peut percevoir une restriction moins prononcée. Cela pourrait réduire progressivement la confiance dans le diagnostic ainsi que la cohérence des évaluations entre différents thérapeutes, voire pour un même thérapeute à différents moments. Chang S et al. 2021 (2) a judicieusement limité ce biais en testant via des « speedbumps » (palpation bilatérale des processus transverse pour noter quel côté est le plus proéminent sans mobilisation). Cela a pour effet de minimiser l’impact correctif du test. Toutefois, cette étude a pris note d’une limite liée au degré de relâchement du patient, qui peut varier et influencer les résultats. En effet, dans cette étude les patients étaient assis, et le degré de tension présent dans cette position au niveau des épaules, du dos et de la région cervicale a pu varier avec le temps, altérant ainsi la perception entre deux tests (2). Cette donnée est également à prendre en compte pour de futures recherches.
– Enfin, le positionnement du thérapeute joue un rôle important. On peut supposer que toucher une structure en étant soit même en tension, viendra potentiellement altérer la perception que l’on en a. Il est donc intéressant de prendre un temps précédent les tests pour s’assurer du relâchement du patient, et du thérapeute.
Recherche plus large que la donnée étudiée :
Toujours dans Chang S. et al (2021) une autre limite relevée est la limitation des tests qui diminue la qualité palpatoire de chaque examinateur, ainsi que la volonté pour les ostéopathes expérimentés de rechercher davantage d’informations que celles étudiées. Un ostéopathe va donc également rechercher davantage d’informations qu’un sonagraphe. Les résultats ressentis seront donc plus ou moins différents. L’étude ne va pas plus loin dans l’analyse mais on pourrait avancer que en se focalisant sur tous les tissus présents entre la pulpe des doigts et la structure osseuse, l’information perçue n’est pas la mobilité de la facette articulaire mais bien l’ensemble de la zone.
Contexte de la palpation dans les études :
Les études analysant la palpation sont également souvent réalisées hors du contexte spécifique de l’ostéopathie, par des thérapeutes autres qu’ostéopathes, et sur un toucher mécanique.
Cette palpation mécanique est commune à beaucoup de professions de santé et n’est pas spécifique à l’ostéopathie. Elle est évaluée dans le but de repérer un mouvement comme une vertèbre en inclinaison ou en rotation mais ne représente qu’une partie de la palpation ostéopathique. Analyser seulement cette approche c’est donc restreindre l’évaluation de la palpation. Tirer des conclusions d’une évaluation restreinte pour l’étendre à la palette entière palpatoire peut conduire à des conclusions inappropriées.
Niveau méthodologique bas :
Anders Jonsson et al. 2017 (3), analyse des tests actifs en lien avec la douleur du patient et des tests passifs dans lesquels les opérateurs examinent le cou des patients pour trouver des zones de restrictions de mobilité.
Selon cette revue systématique, les études incluses et analysant les tests passifs sont considérées comme ayant un risque de biais haut ou modéré. Leurs résultats sont donc à prendre avec précaution et à ne pas extrapoler à toutes les palpations qui peuvent exister. De plus, la seule étude considérée de haute qualité incluse dans cette revue systématique est une étude randomisée ayant conclu à une fiabilité inter-examinateur variable, de modérée à élevée (8). Les autres, de moins bonne qualité, ont des conclusions sur la fiabilité allant de faible à élevée pour les tests passifs. La revue systématique conclut donc que les tests actifs, plus fiables et mieux évalués, sont plus pertinents que les tests passifs, faute de meilleure évaluation. Elle insiste également sur l’importance d’avoir de futures études avec un haut niveau méthodologique (3).
Dans une seconde revue systématique, parfois utilisée pour soutenir la non-fiabilité de la palpation, nous trouvons finalement une bonne synthèse des biais et limites présents dans son analyse. Elle fait référence à plusieurs points (1) :
– Les études ont des critères diagnostiques trop hétérogènes pour en tirer un consensus clair (une asymétrie de hauteur, une modification lors du passage debout-assis, en lien avec une douleur…)
– Les études évaluées sont estimées à 5,1/10 sur l’échelle QUADAS. Il y a donc une faible fiabilité d’applicabilité des résultats.
Évaluation du lien entre palpation et douleur :
Paul S et al (2021) dans une seconde revue systématique « Reliability and validity of manual palpation for the assessment of patients with low back pain : a systematic and critical review » utilise les critères QAREL et QUADAS-2. Elle se base donc sur des études évaluées avec des biais faibles. Le but de l’étude est d’évaluer la fiabilité et la validité de la palpation manuelle pour identifier les zones de douleur et de sensibilité chez les patients souffrant de douleurs lombaires basses.
Nous y trouvons une faible corrélation pour la palpation des muscles spinaux et des articulations mais une bonne corrélation pour la palpation des tissus mous, notamment pour rechercher des points de douloureux dans les muscles glutéaux. Il y a donc globalement une faible corrélation entre points douloureux et palpation sauf pour certaines zones (4). C’est une donnée intéressante mais qui ne vient nullement contredire un quelconque modèle ostéopathique : il n’est pas enseigné qu’une modification de mobilité se traduise systématiquement par une douleur locale, ni qu’une zone douloureuse se traduise par une perte de mobilité.
Études dépourvues des biais et limites méthodologiques évoquées :
Pour évaluer de manière juste et précise la fiabilité de la palpation ostéopathique, il est donc impératif de développer des études et des méthodologies adaptées à cette pratique unique.
Tout d’abord, la fiabilité inter-ostéopathe sera d’autant plus élevée que la façon de la tester aura fait l’objet d’un consensus (9-10).
Le toucher ostéopathique prend en compte un grand nombre d’informations qui, « captées par les différents sens de l’ostéopathe sont traitées et interprétées dans son cerveau, en tenant compte des connaissances anatomiques, physiologiques et pathologiques pertinentes, des modèles de soins ostéopathiques, et de l’expérience clinique personnelle de l’ostéopathe » (11).
La palpation ostéopathique sollicite donc une diversité de perception, bien au-delà du seul toucher mécanique commun à toutes les professions nécessitant un contact avec leurs patients. Une évaluation centrée exclusivement sur ce dernier ne peut donc, à elle seule, conclure à l’invalidation de cet outil diagnostique. Il est possible d’atteindre une fiabilité palpatoire plus élevée, mais celle-ci nécessite une méthodologie palpatoire et une suppression des limites mentionnées précédemment.
En d’autres termes, bien que certaines études aient mis en lumière des limitations dans la palpation mécanique, il est essentiel de reconnaître les nombreuses limites expliquant ces résultats et d’en tirer les conclusions adéquates. Il est tout aussi essentiel de reconnaitre que l’ostéopathie offre une gamme beaucoup plus large de techniques palpatoires, et qu’elle ne s’appuie pas uniquement sur le ressenti extéroceptif : c’est une synergie des sens permettant un contact empathique et perceptif de ce qui se passe chez le patient.
En voulant évaluer la corrélation entre facteurs de risque d’otites moyenne aigue et perceptions manuelles d’un ostéopathe sur le crâne des enfants, Chantal Morin a trouvé un lien statistiquement significatif permettant de montrer le potentiel diagnostic de la palpation ostéopathique dans ce cas précis. Pour réaliser cette étude, un protocole palpatoire a dû être réalisé et il a montré sa fiabilité à travers l’étude. (12).
Une étude plus récente a montré une fiabilité inter-examinateur substantielle, avec des valeurs Kappa allant de 0,62 à 0,78 sauf pour une variable k = 0,54, en suivant une palpation plus proche de ce qui est utilisé en cabinet par les ostéopathes. Le nom donné pour permettre l’évaluation scientifique est « VM » pour « modèle de variabilité » et se concentre sur l’évaluation globale et subtile des structures dans une zone donnée, appelée zone neutre. Il s’agit d’avoir un toucher léger et de percevoir, par de légères inductions, l’élasticité et la souplesse globales de la zone évaluée (5). Cela peut servir de base pour des recherches futures.
Évaluation de la perception du MRP :
Parmi les controverses, la question du MRP (mécanisme respiratoire primaire) est fortement présente. C’est un mouvement supposément ressenti par les ostéopathes, sans définition ni corrélation physiologique établi.
En 2004, la fiabilité palpatoire de deux ostéopathes ayant 7ans d’expérience dans le concept crânien a été évaluée. Il n’a pas été retrouvé de fiabilité inter examinateur au crâne et au sacrum, ni intra-examinateur (13). Faute d’objectiver une fiabilité l’utilisation de ce critère de jugement pour prendre en charge les patients est donc remise en question.
La réalisation de l’étude et du protocole comporte très peu de limites et nous considérons ces résultats comme utiles pour l’avancée de l’évaluation palpatoire en ostéopathie. Il est donc nécessaire de réaliser d’autre recherches pour valider scientifiquement le concept de MRP, ou le faire évoluer.
Un protocole d’entrainement pourrait être ajouté pour augmenter la fiabilité ainsi qu’une clarification sur ce qui est entendu par MRP. Consulter des experts dans le domaine permettrait la mise en place d’une méthodologie de palpation plus adaptée à son évaluation. Par exemple en 2023 en mesurant l’activité physiologique vasculaire et le rythme crânien perçu par deux ostéopathes, une très bonne fiabilité a été retrouvée (14). Les différences méthodologiques entre ces deux protocoles, dont l’instauration d’un consensus palpatoire, ainsi que les 34 années d’expérience au lieu des 7, peuvent participer à la différence de résultats. De plus, l’évaluation inter-examinateur n’a pas été évaluée de la même manière.
Nous devons donc combiner ces résultats et proposer d’autres évaluations permettant d’augmenter les données fiables dans ce domaine.
Il est intéressant de relever qu’une fiabilité excellente a été retrouvée entre une donnée physiologique mesurable et la perception crânienne. La question persiste de comprendre pourquoi de précédentes études comme celle de 2004 ont échoué à retrouver une fiabilité sur cette perception : méthodologies différentes ? Critères en lien avec les ostéopathes évalués ? Absence de clarification sur les informations recherchées ?
Discussion :
Les limitations discutées dans les résultats indiquent que pour augmenter la fiabilité de la palpation, nous pouvons :
-1) Éviter les tests mécaniques impliquant une mobilisation
-2) favoriser des positions stables comme le décubitus dorsal
-3) nous assurer que le thérapeute se sente relâché
-4) Standardiser la palpation, « standard » entendu comme plus proche du réel en consultation ostéopathique.
-5) Avoir un entrainement préalable pour établir un consensus.
-6) Évaluer les tests sur une région plutôt que sur une structure précise.
-7) Solliciter le degré de confiance du praticien
Ces ajustements peuvent améliorer la validité des études futures. En s’éloignant d’un toucher purement mécanique, l’ostéopathe commence à mettre en action son sens intéroceptif.
L’intéroception est la capacité à percevoir les informations physiologiques de notre corps. Ces informations sont acheminées via des voies neurologiques particulières, provenant de chaque tissu du corps et remontant au cerveau (16-17). L’ostéopathie, profession manuelle travaillant grandement sur la qualité palpatoire, amène le praticien à développer son attention sur ses ressentis. Ce dernier développe donc une approche presque méditative qui dépasse la simple notion de toucher. Peut-être conviendrait-il d’ailleurs de parler de ressenti et d’écoute.
Développant cette écoute, l’ostéopathe n’utilise plus uniquement un toucher mécanique ou extéroceptif, mais plutôt une combinaison de plusieurs sens (intéroceptif, proprioceptif et extéroceptif), une écoute multisensorielle permettant de percevoir plus facilement des changements dans le corps du patient et dans le sien (17).
Les ostéopathes expérimentés développent l’utilisation de plusieurs modèles palpatoires, accumulant de l’expérience ils approchent le patient avec une perception plus intuitive. L’intuition est ici entendue comme un réflexion instantanée et inconsciente produite par le cerveau et issue des connaissances accumulées. Les ostéopathes moins expérimentés seraient en revanche davantage dans l’analyse consciente de leur perception, allant chercher les informations, à l’inverse de leurs ainés qui les laisseraient venir (17).
Les mouvements idéomoteurs sont des mouvements perçus comme provenant de sources externes mais étant en réalité d’origine interne. Ces mouvements pourraient également être utilisés pour discréditer les perceptions palpatoires : si ce que nous ressentons provient de nous-même, comment cela pourrait-il être lié au patient ?
Prenant en compte notre analyse préalable, l’idée des mouvements idéomoteurs propose alors un modèle explicatif très intéressant. Tout d’abord, si les biais évoqués sont éliminés, nous obtenons déjà une fiabilité substantielle (5). Si nous nous laissons de surcroît aller à une écoute multisensorielle et dirigée par l’intuition, l’information pourrait alors être recueillie de manière inconsciente puis transférée de manière consciente à nos perceptions manuelles par l’intermédiaire de ces fameux mouvements idéomoteurs.
La théorie idéomotrice ne discrédite pas la palpation. Elle demande simplement à être investiguée de manière plus approfondie pour en comprendre les fonctionnements.
Et si la perception manuelle venait en partie d’un mouvement idéomoteur, venant lui-même d’une analyse automatique et inconsciente (intuition) du schéma du patient ? La partie idéomotrice du mouvement ressenti serait donc la perception subjective du praticien d’un élément objectif chez le patient. L’observation se faisant à l’intérieur du cadre « patient praticien » il y a donc une validité interne à sa palpation permettant une évaluation du traitement en cours.
La seconde définition de l’intuition est l’accès à une information en dehors de tout raisonnement analytique conscient ou inconscient. Ce n’est plus simplement le fruit d’un raisonnement analytique basé sur l’expérience, mais l’acquisition d’informations arrivant par une autre voie que les processus logiques et analytiques traditionnels.
Touchant au domaine de la parapsychologie, une méta-analyse de 2023 (18) a mis en évidence que ce sujet méritait d’être étudié plus en détail. Les résultats obtenus par cette méta-analyse montrent que les intuitions obtenues par des pratiques comme la vision à distance (remote viewing) sont valides dans une proportion bien plus élevée que ce que le hasard pourrait donner.
Selon l’étude, une nécessité d’uniformiser les méthodologies d’évaluation de ces phénomènes pourrait aider à augmenter la qualité des recherches futures, notamment le préenregistrement pour éviter ce que l’on appelle les « pratiques de recherches douteuses ». Il y a donc un intérêt scientifique grandissant pour cette thématique avec une nécessité d’adapter la méthodologie.
Lorsqu’un ostéopathe touche un patient il est nécessaire de prendre en compte la notion de point de contact, concept proposé dans cet article et ne s’appuyant pas sur d’autres études :
– La zone : En fonction de la position de la main, qu’elle soit crânienne, sacrée, ou autre, elle contactera, outre les informations générales au patient, des informations spécifiques à la zone.
– La profondeur : De la surface à la profondeur, différentes structures anatomiques interagissent et différentes informations sont disponibles. Nous devons prendre en compte que les informations perçus peuvent évoluer au gré de ces interactions.
– La sélection : Enfin, parmi toutes ces informations disponibles, quelle sont celles qui sont intégrées et ressenties par l’ostéopathe ? Le tri d’informations pour créer une synthèse palpatoire diffèrera d’une personne à l’autre.
Prendre en compte ces variables, pour toutes les palpations, pourrait augmenter la validité des résultats sur de futures études, ainsi que leur transposition dans l’analyse de la pratique. Cela rejoint l’idée d’un entraînement préalable pour augmenter la fiabilité.
A travers toutes ces informations on pourrait se demander si les informations perçues sur l’état de santé du patient nous étaient acheminées par toutes ces voies à la fois ? Cela permettrait de comprendre à quel point l’évaluation de la palpation est une science difficile à mettre en œuvre.
L’ostéopathie repose sur une approche très large de la palpation, allant bien au-delà de la simple recherche mécanique de mobilité ou de tension. Il n’est plus question de rechercher des restrictions de flexion, rotation ou autre, mais d’intégrer des techniques palpatoires plus subtiles.
Le toucher multisensoriel, l’intuition (dans ses deux acceptions), les limites évoquées, le modèle de variabilité et la zone de contact, offrent une perspective radicalement différente de nos conceptions habituelles de la perception et de la cognition. Pour valider ou infirmer ces modèles, il serait nécessaire de davantage les évaluer en prenant en compte les biais et limites que nous avons mis en évidence.
Limites : Bien que cette revue narrative apporte des perspectives importantes sur la fiabilité de la palpation en ostéopathie, plusieurs limitations méthodologiques doivent être prises en compte pour contextualiser les résultats et les conclusions.
– Caractère Non Systématique de la Revue : Cette recherche s’appuie sur une revue narrative plutôt que systématique, ce qui peut introduire un biais de sélection. Les articles inclus ont été choisis en fonction de leur pertinence et de leur disponibilité, mais il est possible que des études importantes aient été omises.
– Portée limitée des Concepts Examinés : Bien que l’article explore des concepts tels que l’intéroception et l’intuition, ces éléments ne sont pas systématiquement intégrés dans les méthodologies des études analysées. L’application de ces concepts nécessite des recherches supplémentaires pour valider leur pertinence et leur impact sur la fiabilité de la palpation.
– Spécificité de la palpation : Il est mis en avant que beaucoup d’études évaluent une palpation qui n’est pas tout à fait en lien avec celle utilisée par les ostéopathes en cabinet. Cependant, il n’y a pas d’ajout quant à la spécificité de cette dite palpation. Le développement plus précis d’un modèle permettant de conceptualiser à quoi correspondent les informations perçues tout en détaillant la part subjective et objective permettrait d’avoir une meilleure compréhension. Ce qui n’est pas réalisé ici.
Conclusion :
Cette revue narrative a mis en évidence les diverses limitations des études existantes et expliqué pourquoi leurs résultats ne sont pas entièrement applicables à la pratique ostéopathique et, plus largement, à l’ensemble du spectre de la palpation. Elle a également proposé des moyens d’améliorer cette fiabilité par des méthodologies plus adaptées. En intégrant des concepts tels que l’intéroception et l’intuition, et en adoptant des pratiques standardisées, la palpation peut devenir un outil diagnostique plus fiable. Des recherches futures devraient se concentrer sur ces aspects pour valider et affiner les modèles proposés.
Du fait de sa subjectivité, chaque praticien va percevoir plus ou moins différemment les informations reçues. Il est essentiel de réduire au maximum ces biais, tout en sachant qu’il restera toujours une part d’interprétation personnelle. Comme deux personnes exposées à la même musique qui la perçoivent et l’expriment différemment, cette part subjective fait également la particularité de chaque ostéopathe, ce côté humain et unique jouant un rôle crucial dans une approche holistique où l’attention n’est plus seulement portée au symptôme, mais à la personne. Il est important d’établir une communication avec le patient et d’échanger sur ses perceptions afin de renforcer son implication dans le traitement. Il est également crucial de reconnaître qu’une partie du traitement dépend moins de notre fonction de thérapeute que de notre humanité. Comme trois bulles se rencontrant, deux ostéopathes touchant le même patient apporteront chacun leur subjectivité dans la perception. En interagissant avec la même bulle mais par deux points de contact différents, ils capturent ainsi différentes facettes d’une même réalité chez le patient.
Chaque séance est unique car le contexte, le patient et l’ostéopathe évoluent, et les informations perçues, bien qu’elles le soient de manière subjectives, découlent quand même d’une réalité intrinsèque au patient. En reconnaissant cette subjectivité, nous pouvons mieux comprendre la complexité de la palpation ostéopathique et valoriser chaque perception comme une contribution précieuse à la prise en charge globale du patient.
Implications pour la pratique :
– Une meilleure compréhension du fonctionnement de la palpation permet une appréhension différente des résultats des études.
– Des pistes de recherches s’élargissent bien au-delà d’un toucher extéroceptif pour évaluer la palpation
– Des méthodologies de palpation peuvent être utilisées pour améliorer la fiabilité palpatoire.
– La palpation est un processus diagnostique qui peut-être fiable.
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Mots-clés :
Palpation Ostéopathique, Perception Tactile, fiabilité palpatoire ostéopathique, Intuition, Intéroception, mouvement idéomoteur
Affiliations de l’auteur :
Joseph Kallel, DO, osteopathe à Joseph Kallel ostéopathe à Paris, membre de l’Association des ostéopathe de France (ODF)
Financement :
Aucun
Conflits d’intérêt :
Aucun
Adresse de correspondance :
Joseph Kallel: Joseph Kallel ostéopathe, 10 Square Albin Cachot 75013 Paris,
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