Que reste-t-il des infiltrations rachidiennes ?

Que reste-t-il des infiltrations rachidiennes ?

Journal Interational de Médecine A. Zagala, Grenoble
JIM du 8/11/2012


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Des accidents neurologiques graves récemment mis en évidence après infiltration rachidienne radioguidée ont fait remettre en cause les infiltrations rachidiennes, d’autant que les données d’evidence based medicine manquent ou peinent à démontrer leur efficacité.

Entre l’evidence based medicine (EBM), à travers laquelle il est difficile de mettre en évidence dans les études une efficacité des infiltrations contre placebo, et les risques inhérents à la pratique interventionnelle rachidienne, la pratique des infiltrations rachidiennes suscite des interrogations et leur rapport bénéfice/sécurité est remis en cause. Pourtant, les infiltrations rachidiennes radioguidées sont de plus en plus pratiquées à l’étranger. Et les infiltrations réalisées au cabinet permettent de soulager nombre de patients adressés au rhumatologue par leur médecin traitant en échec des traitements médicaux pour des rachialgies avec ou sans radiculalgie. Les infiltrations permettent de débloquer des situations difficiles, comme celle de M. Sylvain, 49 ans, traité pour une carcinose multiple avec 240 mg/j de morphine, 100 mg/j de néfopam et 600 mg/j de prégabaline et qui présentait une névralgie cervico-brachiale droite déficitaire sur hernie discale C6-C7 droite non contrôlée par la corticothérapie à 120 mg/j. Il verra sa douleur radiculaire disparaître en 48 heures avec une infiltration péridurale cervicale radioguidée et son déficit s’atténuer progressivement. Le raisonnement et l’attitude pratique doivent découler de l’analyse du rapport bénéfice-risque. Cette analyse n’est pas évidente même sur les risques graves dont la fréquence est inconnue et la survenue au moins en partie liée à des erreurs techniques qu’il est possible d’éviter.

Les infiltrations rachidiennes radioguidées sont de plus en plus pratiquées à l’étranger.

Elle est par ailleurs rendue peu aisée par la difficulté à apprécier l’efficacité des infiltrations, soit par manque de données (pas d’études randomisées) soit, en cas d’études randomisées contre placebo, par le fait que la pertinence du placebo est sujette à caution (une injection épidurale de sérum physiologique est-elle un vrai placebo ou déjà un traitement ?). Enfin, les bonnes questions sont-elles posées dans les études ? Et le rôle de l’infiltration est-il de guérir une affection ou d’aider à passer un cap ?


Infiltrations réalisées au cabinet
sans guidage radiologique


Infiltrations lombaires articulaires postérieures (ou plutôt au voisinage)

Elles sont réalisées avec les repères cutanés et en fonction des points douloureux retrouvés à la pression, mêlant ainsi l’infiltration ciblée avec l’infiltration loco dolenti, en allant jusqu’au contact osseux. Elles sont donc encore plus approximatives chez les personnes obèses. Cela rend d’éventuelles études randomisées peu interprétables : pas de reproductibilité des infiltrations et l’EBM manque. En contrepartie, en dehors des risques inhérents à toute infiltration (infections, déséquilibre du diabète, etc.) qui peuvent être contrôlés par la rigueur de réalisation, il n’y a pas de risque spécifique à cette voie. En conséquence, et étant donné l’efficacité en ouvert, il est logique de les réaliser lorsqu’on suspecte une lombalgie ou lomboradiculalgie d’origine articulaire postérieure. Ce diagnostic est difficile à poser, mais en présence d’une douleur mécanique localisée avec points douloureux à la pression, ces infiltrations peuvent être indiquées après échec (ou contre-indications) des premiers traitements.

Infiltrations cervicales articulaires postérieures

La situation est la même avec toutefois une réalisation technique plus difficile et surtout, au niveau de C6 et au-dessus, la survenue, de façon exceptionnelle, d’accidents avec atteinte de l’artère vertébrale qui doivent inciter, pour les atteintes hautes (au-dessus de C6- C7), à recourir à des infiltrations radioguidées.

Infiltrations lombaires épidurales

  • Hiatus sacro-coccygien
    La difficulté de réalisation est technique avec, selon les études, de 15 à 70 % de bonnes positions de l’aiguille obtenues en se fiant aux repères cliniques. L’avantage est le caractère exceptionnel d’injections intradurales et, en conséquence, le très faible risque de syndrome post-PL.
  • Voie interépineuse
    La bonne position de l’aiguille est plus régulière, mais la fréquence des syndromes post-PL traduit un risque de brèche durale. Il existe un risque spécifique lié à la possible survenue d’un hématome péridural, certes exceptionnel, mais qui contre-indique la réalisation sous anticoagulant (comme toute infiltration rachidienne) ou clodipogrel alors que l’aspirine ne constitue pas une contre-indication absolue. Le seul cas publié d’hématome péridural après infiltration ayant fait découvrir un trouble de la crase sanguine ne nous paraît pas justifier un bilan de coagulation systématique. L’efficacité de la voie interépineuse a été étudiée dans de nombreuses études randomisées avec des résultats contradictoires, mais elles ont montré une efficacité au moins à court terme sur les lomboradiculalgies, ainsi que sur les lombalgies pures, de façon toutefois moins probante. Les rares études randomisées sur l’efficacité de la voie de l’hiatus sacrococcygien vont dans le même sens. Au total, la réalisation des épidurales de corticoïdes au cabinet nous paraît justifiée après échec d’un premier traitement médical dans les lomboradiculalgies d’origine discale, la voie de l’hiatus sacro-coccygien comportant peu de risque spécifique, la voie interépineuse étant plus régulièrement épidurale vraie mais avec un risque de syndrome post-PL non négligeable.

La réalisation des épidurales de corticoïdes au cabinet nous paraît justifiée après échec d’un premier traitement médical dans les lomboradiculalgies d’origine discale.

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Infiltrations réalisées
avec guidage radiologique


Infiltrations articulaires postérieures lombaires

Le radioguidage amène à une meilleure précision sachant qu’en dehors des kystes articulaires postérieurs, il n’a pas été démontré de supériorité de la voie intra-articulaire stricte par rapport à la voie péri-articulaire. Il paraît justifié de réaliser ce geste, soit d’emblée (morphologie), soit après échec d’une infiltration fait à l’aveugle lorsque le tableau est évocateur d’une atteinte articulaire postérieure.

Infiltrations articulaires postérieures cervicales

Le radioguidage amène là aussi une meilleure précision qui est indispensable à partir de C6 en raison du risque vasculaire. Certains auteurs préconisent de les réaliser à la place des infiltrations foraminales cervicales en raison du risque de ces dernières. Il n’y a pas d’études randomisées et l’EBM manque, mais en cas d’inefficacité et d’intolérance aux autres traitements, il nous paraît justifié de le réaliser.

Infiltrations péridurales lombaires
par voie interépineuse ou interlamaire (figure 1)

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Elles ne posent pas de problèmes différents des infiltrations non radioguidées.

Dans notre expérience, la voie interlamaire latéralisée au niveau L5-S1 expose beaucoup moins au risque de syndrome post-PL. La certitude de la bonne position pourrait faire envisager une meilleure efficacité et les métaanalyses le confirment. Une paraplégie survenue après une injection péridurale lombaire haute chez un patient précédemment opéré a justifié, dans le rapport de l’Afssaps, de déconseiller ce geste sur rachis opéré. Les infiltrations par voie interépineuse ou interlamaire apparaissent comme une possibilité pour les lomboradiculalgies par hernie discale (en particulier intracanalaire) ou contraintes canalaires en cas de résistance au traitement médical de première intention.

Infiltrations péridurales lombaires par l’hiatus sacro-coccygien
avec guidage radiologique ou échographique

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Même si la concentration de produits est moindre au niveau lombaire (espace de diffusion, fuite par les trous sacrés), elles représentent une alternative d’autant plus intéressante qu’elles peuvent être réalisées sur rachis opéré.

Elles font partie, avec les infiltrations foraminales, de la mise au point de l’Afssaps. Ces infiltrations sont peu pratiquées en France notamment par rapport aux États- Unis. Un suivi systématique des instructeurs de l’ISIS (International Spinal Intervention Society) a montré, il y a quelques années, une pratique plus fréquente que les foraminales cervicales sans accident majeur. Elles ont été considérées comme peu à risque dans une revue systématique de la littérature. Les trois accidents rapportés dans l’argumentaire de l’Afssaps sont pour l’un une erreur technique et pour les deux autres une toxicité probable avec des produits qui n’ont pas l’AMM en France, suggérant ainsi un risque très limité qui pourrait faire nuancer l’information nécessaire. Les études ouvertes sont favorables, mais l’EBM manque et leurs indications doivent être réservées aux échecs du traitement médical.

Infiltrations foraminales cervicales

Des accidents neurologiques graves de tétraplégie/paraplégie, voire des décès ont été rapportés. Ils sont de présentation vasculaire, l’origine embolique étant la plus évoquée. La voie intraforaminale paraît en cause et l’éloignement du foramen lors de l’injection devrait faire régresser ce risque, mais l’injection du produit à distance du site à injecter pose la question de son efficacité. Les études ouvertes sont favorables ainsi que l’impression lors de la pratique clinique, mais l’EBM est absente. Les recommandations de l’Afssaps indiquent « névralgies cervico-brachiales évoluant depuis plusieurs mois et résistantes aux traitements médicaux bien conduits chez un patient bien informé des risques inhérents à cette pratique.

Ces gestes sont considérés comme une alternative au traitement chirurgical ». Ces recommandations donnent à la fois des conseils techniques (ne pas cathétériser les foramens) dans le but de limiter, voire supprimer le risque, et en même temps demandent de donner l’information comme s’il s’agissait d’un geste intraforaminal : une situation à expliciter lors de l’information au patient.

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Ces infiltrations sont pratiquées fréquemment en raison de leur intérêt théorique (action sur le ganglion rachidien et sélectivité du geste) et de leur efficacité. Huit études randomisées ont été publiées et sont en majorité en faveur de l’infiltration de corticoïdes à court terme. Ceci est encore plus nette dans les études prenant en compte le nombre de répondeurs, ce qui suggérerait qu’il existe des sous-populations (à déterminer) pour lesquels ce traitement serait plus efficace. La seule étude répétant les infiltrations en cas d’efficacité insuffisante, comme dans la « vraie vie », montre même une diminution significative du recours à la chirurgie confirmée avec un recul de 5 ans. Par ailleurs, même une efficacité à court terme est intéressante dans la « vraie vie » en diminuant le recours prématuré à la chirurgie. Les complications neurologiques sont d’allure vasculaire avec une atteinte d’une artère à destinée médullaire liée à l’injection intraforaminale. Elle paraît plus exceptionnelle qu’au niveau cervical. Une injection devant l’entrée amène à moins de dispersion qu’au niveau cervical avec une diffusion qui reste périradiculaire (travail personnel non encore publié) et, étant à distance des vaisseaux, ne devrait pas comporter de risque vasculaire.

D’autres approches (triangle de Gamblin) pourrait constituer une manière d’éviter le risque vasculaire pour des infiltrations qu’il faut plutôt appeler périradiculaires que foraminales.

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La seule étude répétant les infiltrations foraminales lombaires en cas d’efficacité insuffisante montre une diminution significative du recours à la chirurgie confirmée avec un recul de 5 ans.

L’Afssaps indique : « Les injections foraminales radioguidées ne doivent pas être réalisées en première intention et s’adressent au traitement des lomboradiculalgies communes rebelles au traitement médical bien conduit et chez un patient informé des risques d’accidents neurologiques ». La distinction entre infiltrations périradiculaires et foraminales nous paraît justifiée au cours de cette information. En prenant en compte l’hypothèse anatomique (non prouvée), les infiltrations périradiculaires pourraient être réalisées soit après l’échec d’une péridurale en cas de contraintes intracanalaires, soit d’emblée en cas d’atteinte foraminale ou extraforaminale.

Il ne faut pas, par ailleurs, oublier et négliger les risques inhérents aux autres thérapeutiques, non seulement la chirurgie, mais encore les anti-inflammatoires et les corticoïdes par voie générale (les métanalyses ne montrant d’ailleurs pas d’efficacité dans les lomboradiculalgies !) ainsi que les traitements antalgiques psychotropes ou non.

Pour en savoir plus

  • Beaudreuil J et al. Lombalgies et lombosciatiques communes. Traité de Thérapeutique Rhumatologique, Flammarion 2007 : 645-65.
    => Rozenberg S et al. Les infiltrations cortisoniques dans le traitem
  • Afssaps. Risque de paraplégie/tétraplégie lié aux injections radioguidées de glucocorticoïdes au rachis lombaire ou cervical. Mise au point mars 2011.
    Buenaventura RM et al. Systematic review of therapeutic lumbar transforaminal epidural steroid injections. Pain Physician 2009 ; 12 : 233-51.
  • Staal JB et al. Injection therapy for subacute and chronic low-back pain. Cochrane Database Syst Rev 2008 ; 3 : CD001824.  

Source : Journal International de Médecine (17/10/2012) – Réservé aux abonnés.
Copyright © Len medical, Rhumatologie pratique, novembre 2012


Nous remercions le Journal International de Médecine (JIM) de nous avoir autorisé à reproduire cet article sur le Site de l’Ostéopathie.


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