Cas Clinique
A propos de poulains qui n’arrivent pas à téter, je ne parle pas ici des poulains malades qui ont de la fièvre, pas d’appétit, de ceux qui sont amorphes ou bien malformés. Je parle des poulains qui semblent avoir très envie de téter, se mettent sous la mère et semblent faire n’importe quoi et ne pas y arriver. En tant que vétérinaire, nous sommes un peu démunis.
Des injections d’un oxygénateur cérébral, un point d’acupuncture entre le nez et la bouche, connu pour stimuler, un peu d’homéopathie peut être et puis, donner du colostrum et forcer la tétée au biberon et essayer d’accompagner le poulain dans son apprentissage. Perfuser dans le pire des cas quand on n’arrive pas à faire prendre la moindre goutte. Peut-être avez-vous de meilleures idées, peut être lui ferez-vous de l’ostéopathie qui l’aidera.
Mais en fait, régulièrement dans ces cas là, il suffit de comprendre une seule chose : le principe de la torsion physiologique et les hélices fasciales. Il est évident que si je me permets de dire cela, c’est que j’ai eu l’occasion de constater plusieurs fois les effets cliniques d’une manipulation en tenant compte de ces notions : le poulain se met à téter en maximum quelques heures.
Discussion
Les deux principes cités plus haut, superbement ignorés de la médecine vétérinaire, rarement connus en ostéopathie permettent pourtant très régulièrement une rapide résolution du cas clinique. Ces deux principes sont décrits et argumentés dans le livre « Le Corps Tenségritif1», mais pour ceux qui ne l’ont pas lu, je vous fais un rapide descriptif de l’argumentaire qui arrive à ces notions que je considère comme primordiales pour un ostéopathe.
Nous constatons que les corps sont dissymétriques :
- Dans l’anatomie : Pied gauche en général plus grand que le droit, poumons droit et gauche qui n’ont pas le même nombre de lobes, un rein collé sous la colonne vertébrale, l’autre flottant, etc.
- Mais aussi dans le mouvement : on bercera un bébé pour la grande majorité d’entre nous en partant vers la gauche, on fait tourner nos chevaux de voltige vers la gauche, les courses de trot sont majoritairement en virage gauche. Etc.
Ce ne sont pas des anecdotes et l’on peut se demander quel phénomène est à l’origine de cette constatation.
Cela semble être moléculaire. Nos protéines de structures sont toutes faites avec des acides aminés. Il se trouve que chimiquement ils existent sous deux formes symétriques dans un miroir, dites chirales : une forme dite droite (D) et une forme gauche dite (L). Or pour des raisons inconnues2 le vivant n’a retenu quasiment que des formes L qui, contrairement aux formes D, quand elles s’assemblent font des protéines dont la forme est hélicoïdale. Dans le même sens d’ailleurs que la double hélice de l’ADN. C’est une hélice qui, si vous vous mettez à la place de l’axe, va, sur votre face ventrale, de la droite vers la gauche en montant3.
Il se trouve qu’il a été démontré que le vivant est souvent organisé de manière fractale4, soit : invariant d’échelle. C’est-à-dire que, vraisemblablement, pour une histoire économie d’énergie et afin de ne pas réinventer à chaque niveau une organisation différente, quelle que soit l’échelle à laquelle on regarde un corps, l’organisation est similaire. On a ainsi démontré que l’arborescence des trachées du poumon était fractale. Même si on a du mal à retrouver ce principe à chaque instant, il est fondamental dans le vivant.
Ainsi partant du principe que nos protéines sont des hélices orientées, on peut par exemple retrouver que le muscle cardiaque peut être déplié en hélice5 de même sens. A partir de là, nous allons extrapoler et voir ce que cela induit sur nos raisonnements ostéopathiques et sur notre clinique. Postulat :
« Un corps constitué d’hélices fonctionne comme une hélice. »
Avec une attention particulière pour les fascias, constitués entre autres de triple hélices de collagène, qui entourent tous les tissus corporels et qui ostéopathiquement sont pour nous un grand levier d’action. Ce qui sur un cheval pourrait être modélisé ainsi (cf. schéma ci-dessous). Imaginez que tout le corps est une écharpe vrillée qui, si on la serre dans le sens de la vrille, est élastique et qui se défait et se déforme dans l’autre sens. Le fonctionnement normal sera d’aller dans le sens du serrage des tissus dans le sens de l’hélice, toute impossibilité de serrage entrainera une dysfonction.

Voici donc mis en place ce que j’ai appelé l’hélice fasciale. Cette hélice a été utilisée jadis par un ostéopathe nommé Neidner6 et le mouvement de serrage de cette hélice est ce que Yves Guillard appelle la torsion physiologique7.
Ceci redonne au bassin un rôle clé : Il doit bouger (torsion) en suivant le rail de l’hélice, ce qui fait qu’iliaque gauche et l’iliaque droit ont deux mouvements qui s’accompagnent dans une symétrie hélicoïdale MAIS qui semblent inverses si on reprend comme référence une symétrie de plan médian telle que nous en avons l’habitude. Pour le cheval, l’iliaque gauche vrille vers le dos et vers le crâne, tandis que l’iliaque droit vrille vers le ventre et vers les pieds. Ce n’est pas du tout ce que nous avons appris et cela change complètement la donne clinique.
Pour le bipède que nous sommes, qui manifestement en passant du 4pattes au relevé debout a statistiquement bloqué le système, tenir compte de cette dissymétrie en traitant le bassin est cliniquement salvateur8.
Pour les animaux quadrupèdes, l’inversion de la torsion du bassin est bien moins fréquente, mais c’est pourtant ce qui arrive à notre poulain qui ne tête pas. L’origine de la dysfonction reste souvent inconnue, mais peu importe, il faut restituer le mouvement normal de la torsion.
Revenons alors à notre poulain. L’image qui suit montre un poulain qui tête dans une position quasi systématique et normale. Il se présente sur le côté droit de la jument, tête bêche.

Reprenez le schéma d’hélice plus haut et imaginez que le ruban dessiné soit élastique et se resserre. Alors l’iliaque gauche monte vers le dos et l’encolure se vrille en propulsant la tête du poulain vers sa droite. C’est ce resserrement fascial hélicoïdal qui met le poulain en position de tétée correcte.
Imaginez maintenant que la torsion du bassin du poulain soit inversée : iliaque gauche vers le ventre et iliaque droit vers le dos. Ce qui est une dysfonction dont la clinique nous apprend qu’elle est majeure quand elle n’est pas compensée9. Le poulain ne peut plus resserrer son hélice fasciale et ne peut donc pas téter.
Il suffit alors de faire un traitement ostéopathique global bien sûr mais qui devra absolument tenir compte de cette dysfonction du bassin pour un résultat rapide et sûr10. Cela peut sembler trop simple et pourtant … Testez le la prochaine fois que vous croiserez un poulain qui n’arrive pas à téter.
Conclusion
La conclusion clinique s’impose d’elle-même. Mon expérience de praticien m’a montré que c’est efficace et je vous conseille à tous, que vous soigniez des animaux ou des humains, d’intégrer la torsion et les hélices dans vos raisonnements ostéopathiques et pas seulement pour un poulain qui ne tête pas.
Mais j’ai envie d’ouvrir la discussion sur le pourquoi ces concepts ne passent pas le cap d’une vraie reconnaissance ostéopathique, ce qui serait déjà bien et encore moins une reconnaissance vétérinaire ou médicale ce qui serait merveilleux.
Cela me semble complètement ubuesque d’autant plus que dans une période où l’ostéopathie se recroqueville sur elle-même pour satisfaire une vision strictement mécaniste de la vie qui est en train de nous être imposée, cette notion me semble très facile à intégrer dans un raisonnement mécaniste et une logique binaire booléenne11.
Nous ne sommes pas « chercheurs » et n’avons ni temps, ni budget pour faire de « vraies » recherches scientifiques. Mais, n’oubliez pas que la description de cas cliniques est le degré 1 de l’EBM. Alors qu’attendez-vous pour nous envoyer des cas cliniques qui rebondissent sur cette notion de dissymétrie et les discutent ?
N’oubliez pas qu’un des piliers de l’EBM12/13 est l’expérience et l’expertise du clinicien qui retraduit ses « découvertes », c’est le but de cet article. Apporter des articles scientifique appartenant au piliers de la recherche n’est accessibles qu’avec un budget recherche. Praticiens nous n’avons pas ce loisir, aux autres de le faire, mais, nous nous devons de leur donner du grain à moudre. Si nous ne le faisons pas, si nos réseaux d’écriture ne fonctionnent pas, cela n’avancera jamais. Alors, écrivez bon sang ! Sinon, nous continuerons à entendre la litanie nauséeuse des « ce n’est pas prouvé, il n’y a rien d’écrit dessus » !!! Et nous ne pourrons même pas nous plaindre que l’ostéopathie se fasse attaquer de toute part.
L’Ostéo4pattes-SDO est conçu pour accueillir votre expérience, arrêtez d’être frileux ! Aidez-le, aidez-vous !
- « Le Corps Tenségritif » 254 pp, Edition Sully, Co écrit par Amélie Gardelle et Patrick Chêne. ↩︎
- L’hypothèse actuelle serait que la terre aurait été ensemencée par des acides aminés venant du vide spatial (on retrouve des acides aminés sur des météorites) et que les radiations sélectionneraient les formes L. ↩︎
- Et de gauche à droite dans votre dos évidemment. ↩︎
- Les formes fractales dans la nature, 2017 ↩︎
- Très facile à faire pour un cœur de bœuf. Exemple : https://youtu.be/NHl4DUu1bEI?si=w7t9NMkoxpB7MqCp&t=345 ↩︎
- Neidner Technique : Voir le Fichier PDF, ou l’Article. ↩︎
- Recherche sur le site de l’O4PSDO : https://osteo4pattes-sdo.eu/?s=torsion ; Site d’Yves Guillard : https://www.torsion-physiologique.fr/ ↩︎
- Oui, et trois fois oui, cliniquement testé tous les jours depuis 15 ans. Et mille mercis à Yves Guillard pour cet apport. ↩︎
- Multi-compensations très fréquentes chez les ostéopathes qui ont subi de nombreux TD où le bassin était traité de façon symétrique. ↩︎
- Je ne vais pas donner ici de techniques particulières, une fois compris le concept, n’importe quel ostéopathe saura improviser une manipulation qui restituera la dissymétrie du bassin. Mais si ma manière de pratiquer vous interesse, vous trouverez cette informations dans « Le Corps Tenségritif » ou dans la formation du même nom que j’anime ↩︎
- Rappelons ici qu’il existe d’autres systèmes logiques absolument nécessaires pour comprendre la physique de l’infiniment petit et de l’infiniment grand (logique intuitive de Heyting). Et qu’il en est probablement ainsi pour expliquer le vivant par rapport à l’inanimé mais que le pas de lâcher la logique binaire n’a pas encore été franchi en biologie. Et je me permets de penser que c’est là l’origine de nos déboires avec la médecine classique. ↩︎
- Liège Université MOOC- Module 1, séquence 1 : Se familiariser à l’EBP : quoi ? ↩︎
- Sam Alanbari, Evidence Based Medicine, qu’est-ce que c’est ? ↩︎
