Présenter une théorie recevable d’un phénomène connu empiriquement, au profit d’une meilleure compréhension, ne fait que soutenir l’acceptabilité d’y avoir recours, avant même qu’elle ne soit « scientifiquement » validée. Ainsi, par les vertus performatives d’une conceptualisation heureuse, même hautement spéculative, elle saura renforcer encore l’efficacité de ces techniques entre nos mains.
Chaque jour passé dans leur consultation, les praticiens des différents courants de la médecine manuelle libèrent des dizaines de lésions fonctionnelles, n’ayant pris souvent assez garde de définir vraiment comment ces perturbations se sont installées au sein des tissus de leurs patients, pourquoi un corps a été contraint de recourir à cette stratégie, pourquoi il n’a plus été capable ensuite de s’en libérer… M’affranchissant peu à peu de l’éclairage couramment mécaniste donné à ces lésions complexes, j’ai été amené à proposer un modèle élargi et dynamique de ces problématiques, que je nomme la dysfonction-mémoire.
La définition de la lésion ostéopathique de Pierre Renaudeau D.O.
En Août 2012, notre confrère Pierre Renaudeau avait produit un remarquable article 1 (repris dans la revue Ostéo4pattes de Janvier 2020). Il y compilait les définitions que les différentes obédiences de la médecine manuelle (ostéopathie, chiropraxie, vertébrothérapie, etc.) donnaient aux lésions abordées dans leurs soins. Outre la grande variété – nappée d’une assez évidente imprécision – des modèles proposés, il apparaissait qu’en réalité, nous, thérapeutes manuels, avons beaucoup de peine à décrire clairement la complexité des perturbations tissulaires que nous résolvons par de nos actions ; paradoxe troublant en considération de l’efficacité éprouvées de nos approches… Il semblerait presque que nous ne connaissons des lésions que nous libérons que le sentiment délicieux de leur résolution sous nos mains et les bienfaits ainsi obtenus pour la santé de nos patients, humains ou animaux. Ainsi, ces lésions fonctionnelles et leur normalisation par nos soins nous apparaissent tellement familières que nous aurions finalement un peu de peine à les décrire en quelques mots et avec précision à un praticien d’une autre spécialité… Fort heureusement, notre compréhension de ces aléas tissulaires s’est tout de même peu à peu débarrassée de la référence quasi-orthopédique de leur description, qui les associaient à des « subluxations » ou à des « dérangement-intervertébraux-mineurs » ; toute notre expérience de l’ostéopathie fonctionnelle, crânienne, viscérale, voire somato-émotionnelle, ne pouvant que battre en brèche ces notions assez candides mais finalement populaires dans l’univers mental des soignants, pour une part héritées du reboutement de nos prédécesseurs sur ce terrain !
À la suite de ce catalogue quasi exhaustif et plutôt pittoresque des définitions proposées par chaque corporation, l’auteur de cet article, attirait notre attention sur les travaux de Robert Schleip 2 concernant la plasticité fasciale, ce biologiste ayant démontré les possibilités d’une contractilité des fascias, régulée par le système nerveux autonome, ainsi que l’équilibre agoniste-antagoniste pouvant régner au sein de ces systèmes, par exemple dans l’ensemble des fascias entourant une articulation.
Pierre Renaudeau en tirait à sa suite une nouvelle et pertinente définition : « La lésion ostéopathique consiste en la facilitation – à l’occasion d’un traumatisme – d’un paramètre de mouvement, associé à la restriction du paramètre du mouvement exactement opposé ». Ceci correspondait assez bien – si l’on voulait s’en tenir à une approche biomécanique de la lésion ostéopathique – à notre habituel ressenti palpatoire : on pense par exemple à une cheville qui semble être « restée dans la position de l’entorse » qu’elle a subie (au sens de sa perte de mobilité). Cette stratégie, cette fonction du vivant, pilotée à distance par le cerveau archaïque du sujet ayant engagé une cascade de réflexes de survie face à un trauma, aboutit, dans certains cas, à l’installation de la lésion fonctionnelle ostéopathique au sein de la structure agressée.
Un modèle donc, qui avait le mérite d’être soutenu par le travail des scientifiques, mais qui, à mon sens, rencontrait une fois encore l’écueil de se réduire à une compréhension essentiellement neuro-tissulaire, si ce n’est mécaniste, de sa nature. Le défaut aussi de ne voir dans la coloration émotionnelle des problématiques ostéopathiques rencontrées qu’une sorte de décor, un arrière-fond surajouté à ces blessures physiques. Notre expérience quotidienne des approches somato-émotionnelles – en tout cas en ostéopathie humaine pour ce qui concerne ma pratique – nous impose, bien entendu, une idée élargie de ces phénomènes, les entrées émotionnelles décodées au sein des tissus de nos patients évoquant à l’évidence le phénomène de régression psychosomatique décrit par le psychiatre Pierre Marty 3 depuis les années 1960. L’intégration de causalités non mécaniques – des intrus psychologiques, métaboliques, posturaux etc. – pouvant au passage, cependant, assez confortablement s’intégrer à cette définition des lésions ostéopathiques de Renaudeau…
Le blocage ostéopathique n’existe plus…
J’extrais ici quelques paragraphes du chapitre premier de mon livre Conversations tissulaires 4 paru en 2022.
Madame H. se présentait à moi ce matin-là, suite à une violente chute de ski, avec les signes habituels en médecine manuelle d’un verrouillage complet de la charnière crânio-cervicale, accompagné de son cortège de douleur, raideur, maux de tête, sensation ébrieuse, irradiations névralgiques…
Quand je testai la mobilité de son occiput, celui-ci m’apparaissait sans surprise complètement bloqué, avec pratiquement aucune possibilité de mouvement par rapport à Atlas, la première vertèbre cervicale.
Pourtant quand j’interrogeai ce blocage grâce à ce que nous nommons communication tissulaire – comme je le fais dans ma routine diagnostique avant toute manipulation pour tenter de décoder l’origine d’une dysfonction – l’occiput réagit alors par les divers mouvements qui s’expriment toujours en réponse à ces tests ! Surprenant… car il semblait complètement bloqué quelques secondes auparavant ! Dès que je suspendais mon interrogation silencieuse, il retournait d’ailleurs tout de suite à sa fixité pathologique…
Je dois préciser que l’écoute (l’analyse de la mobilité spontanée) de l’occiput est la porte d’entrée diagnostique que j’ai adoptée depuis des années dans mon travail. C’est mon poste d’observation ordinaire du corps dans son ensemble, ma vigie, lorsque je tente d’intégrer dans mon anamnèse tout ce qui vient avec l’analyse d’une dysfonction ostéopathique : est-elle dominante ou adaptative, d’origine traumatique, émotionnelle, métabolique, etc.
Les ostéopathes savent que toutes ces informations (et bien d’autres encore) sont intégrées à un schéma lésionnel.
La communication tissulaire : voici un joli terme qui traîne dans l’imaginaire des ostéopathes depuis quelques années. J’imagine que les précurseurs de cette approche ont eu l’idée d’adapter nos techniques d’écoute subtile de l’ostéopathie crânio-sacrée au diagnostic algorithmique venu en particulier de la kinésiologie. On laisse dérouler des séquences d’ouvertures et de fermetures de « portes », où une question étant posée mentalement par le praticien, on obtient une réponse « oui » ou « non » sous forme de variations en retour de la mobilité spontanée de la structure ayant été choisie comme support à ce test. Pour ma part, c’est l’occiput de mes patients qui me sert le plus souvent de référence dans ces techniques. D’autres préféreront les grandes ailes du sphénoïde ou le sacrum… Peu importe, car ce choix relève d’une convention mentale adoptée au bon vouloir du thérapeute. De la même manière, on pourra comprendre que la réponse « oui »’ sera obtenue avec parfois une augmentation de la mobilité de l’occiput (NDA : de son MRP), parfois au contraire avec sa suspension. On pourra se référer sur ce sujet aux écrits de notre confrère Patrick Varlet5, qui a largement développé sa propre approche des techniques de communication tissulaire.
Un occiput bloqué…mais pas !
Voici donc que cet occiput, verrouillé il y a quelques secondes, répondait tout de même à ces tests de communications tissulaires en s’animant entre mes mains… pour retourner aussitôt à son impossibilité de mouvement quand je cessais mon interrogation.
Ne pouvait-on dès lors en déduire avec raison, que cette structure vivante, intelligente, n’était pas réellement verrouillée au sens biomécanique ou fonctionnel du terme, comme le décrivent traditionnellement les ostéopathes dans leurs pratiques, mais au contraire avait juste « décidé » de ne plus bouger ? (NDA : cela rejoignant bien entendu le modèle « neurologique » proposé par Pierre Renaudeau, voir supra) Je mets bien sûr ce « décidé » entre guillemets, mais comment comprendre autrement cette stratégie du vivant qui semblait avoir prévalu ici pour gérer cette souffrance ?
Si anodin que semblait ce curieux paradoxe apparu entre mes mains, cela remettait néanmoins en cause l’idée même de la dysfonction ostéopathique enseignée dans nos écoles. On y apprend ce concept, hérité pour partie de l’orthopédie, d’une sorte de blocage imposé à une structure vivante par un « faux mouvement », une présumée tension musculaire ou de ligaments, voire même pour certains, d’hypothétiques déplacements, micro-dérangements ou malpositions structurelles.
Plus qu’un réel blocage, la dysfonction ostéopathique m’apparaissait de fait comme l’expression d’une protection programmée activement par la structure elle-même, une sorte de « moins mauvaise solution » (NDA : donc bien une fonction héritée d’un réflexe de survie comme chez Renaudeau) adoptée en réponse à des perturbations d’origines diverses : ces évènements que des confrères – je m’approprie ce terme en le revisitant à mon gré, ils m’en pardonneront – ont appelé des intrus. Il semblait aussi que cette stratégie se suspendait le temps de mon testing, comme si l’occiput basculait alors dans un mode secondaire, avant de retourner à son apparente ankylose dès la fin de mon interrogation.
Des années de pratique passées depuis cette expérience pour moi fondatrice, m’ont toujours confirmé cette hypothèse. Adoptant un modèle tentant d’intégrer les composantes immatérielles qui accompagnent les perturbations ostéopathiques structurelles, j’ai pu cerner avec plus d’acuité la complexion des paramètres ostéopathiques ayant abouti aux souffrances des patients, au sein de ce que j’appelle les schèmes dysfonctionnels.
Intrus : un terme proposé par notre confrère Jean-Philippe Foissy6, et sans doute par d’autres, pour décrire tout objet d’anamnèse qui a pu venir s’inscrire dans l’histoire du patient. On parle de traumatismes, d’émotions, de perturbateurs métaboliques, de fatigue, d’infections, pourquoi pas de désordres posturaux idiopathiques, etc. Tout intrus, dans mon approche, organise autour de lui un schème dysfonctionnel dérangeant l’état de santé du sujet. Il s’agira donc de décrypter puis de désactiver cet intrus, pour que le potentiel d’auto-guérison de cette personne lui permette ensuite son rétablissement. Je rejoins bien sûr en cela le paradigme des traditions ostéopathiques de soin holistique, de Force de Vie, de Potency – le potentiel bio dynamique organisateur du vivant – et de « médecin intérieur ». L’herméneutique ostéopathique est d’une grande richesse, les textes des Anciens toujours éclairants pour les ostéopathes contemporains, sans cesse rattrapés par ce que leurs propres pratiques conservent d’inexpliqué.
Complexion : il faut considérer les problématiques ostéopathiques comme des assemblages dynamiques d’évènements coordonnés. Au praticien de disposer donc, d’outils analytiques pour observer la complexion de cet ensemble d’objets en un tout. Avec un peu de lucidité, on devra bien admettre que chaque présumée lésion primaire – celles qu’on aura vaillamment œuvré à découvrir – risque bien d’avoir été elle-même « facilitée » par le terrain qui lui préexistait. Faudra-t-il alors considérer cette quête comme une illusion, une utopie ? Comme toujours, il s’agira de faire au mieux, et de s’approcher au plus près d’un reflet de la réalité. L’intelligence propre des tissus – la nature étant bien faite- sera là pour y trouver une proposition qui semble généralement suffisante à en tirer matière à sa propre guérison.
La dysfonction-mémoire, un nouveau modèle pour la dysfonction ostéopathique ?
Nous voilà ainsi devant une définition de Pierre Renaudeau qui mérite sans doute d’être discutée encore, en nous attachant particulièrement à cette idée que les lésions ostéopathiques sont multidimensionnelles (plurivoques) et que leur compréhension dynamique nous demande d’appréhender au mieux ce qui a permis qu’elles restent intégrées aux tissus vivants que nous traitons. Cette fois c’est dans des extraits inédits d’un ouvrage à paraitre 7 que je puise la suite de mon propos…
Quand on s’est éloigné peu à peu de l’image « orthopédique », univoque et matérialiste, qui envisage la dysfonction ostéopathique comme une distorsion, un « dérangement mineur » imposé à une articulation par un événement accidentel, une maladresse physique ou l’adaptation à une imperfection posturale – quand on a compris que les fixations ostéopathiques emmènent autour d’elles, au contraire, tout un riche agrégat d’informations silencieuses et ordinairement intangibles – on doit alors se poser la question de ce qui fait aboutir ou pas à l’installation de tels ensembles. Qu’est-ce qui a arbitré que notre corps, subissant pourtant sans cesse des blessures venues du flux informationnel matériel et immatériel continu qui irrigue sa vie, est appelé parfois à garder programmées en lui des perturbations, pouvant rester installées ensuite comme des dysfonctions chroniques ? Pourquoi se trouve-t-il ainsi contraint à la décision d’adopter cette stratégie ?
La dysfonction ostéopathique, une solution-erreur ?
Si l’on s’intéresse à l’hypothèse la plus simple – celle d’un traumatisme accidentel où la structure aurait risqué d’être dépassée dans les limites de sa propre solidité ou faculté à amortir un trop-plein d’énergie – sa stratégie de protection semble limpide. Il faut prendre alors la fixation programmée dans la structure comme un bienfait à court terme.
Parallèlement, le cerveau dans le contexte d’un choc physique déclenche son orage émotionnel dont le tonnerre trouve écho dans l’être tout entier, ces émotions semblant avoir la faculté de rester engrammées, elles-aussi, dans la structure somatique. Les informations s’empilent donc pour ériger un schème complexe autour d’elles, et ce schème perdure, cependant que l’on aurait pu imaginer l’organisme trouvant la capacité de s’en libérer aussitôt le danger écarté. À l’opposé de cela, ce paquet informationnel reste mémorisé dans l’organe touché lorsque notre médecin intérieur ne parait plus capable de l’en effacer. Cette protection, dans son côté récurrent, finissant même par nous évoquer parfois un acte manqué, une méprise au sens freudien du terme.
La structure vivante, ayant opté pour cette stratégie face à un intrus, organise donc une défense assumée mais imparfaite, une solution-erreur appelée à durer.
Les causes et les effets
On l’aura observé, au sein de la dysfonction ostéopathique, causes et effets finissent par se confondre. L’input causal, le trauma, qui est engrammé dans ses dimensions matérielles et immatérielles, l’est en tant que tel et donc comme une cause-effet. Cet effet risque de devenir immuable pour un temps, cette régression (pourtant une stratégie de protection à priori bienvenue face à une blessure) tendant à son tour à acquérir le statut de nouvelle maladie, porteuse en elle-même, par le biais des facilitations ostéopathiques, de bien d’autres maux à venir… Nous voici donc aussi face à un effet-cause. Même une cause-effet-cause !
Aborder les étiologies médicales, et ostéopathiques en particulier, comme émanant d’une cause unique (un germe, un choc, une blessure psychologique…), leur promettre des effets qui seraient universellement partagés par les organismes qui en seraient atteints, tout cela n’est qu’un outil de simplification naïve. Au sein de ce vaste flux informationnel qui participe à ce que, ce jour-là, ce corps-là a dû incorporer un intrus au sein de sa structure en le mémorisant, rien ne peut marcher comme cela. Quelques jours ou mois avant, l’organisme étant dans des dispositions biologiques autres ou dans un environnement différent, tout aurait pu se passer autrement. Un pathogène ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve héraclitéen ! Ce corps, ici, ce jour-là, en présence d’un engramme pathologique, met en route un programme d’ingestion unique, qui ne pourra jamais être celui d’un autre être, d’un autre lieu ou d’un autre jour, et cela participe à rendre la compréhension de la maladie si complexe et passionnante.
La mémoire comme le propre du vivant
« Seuls les vivant sont doués de mémoire, car eux seuls croissent par intussusception en incorporant l’altérité et en s’efforçant de l’assimiler. » Barbara Stiegler, Nietzsche et la vie8.
L’intussusception, ce phénomène, n’appartenant qu’au vivant, donne à l’organisme la faculté d’incorporer à lui-même des éléments empruntés au monde extérieur. On peut aussi le prendre comme la capacité de l’être à assimiler, en permanence et de façon automatique, l’information venue à lui, et de fait, ne dit-on pas en parlant d’apprendre qu’on doit « digérer » des connaissances ! Ainsi, la personne (oublieuse un temps du géno-centrisme dominant la pensée médicale) bâtit son programme ontologique aussi grâce à sa mémoire. Gardons à l’esprit que nous nous nourrissons donc en permanence de denrées étrangères à nous-même, mais qui, une fois digérées, nous rejoignent. De la même manière, nous incorporons un flux d’informations (en fait de l’énergie codée) explicites ou implicites, matérielles ou immatérielles, qui font de nous des êtres sans cesse différents de la veille, mais toujours nous…
Les inputs aboutissant à la construction des schèmes dysfonctionnels complexes qui intéressent l’ostéopathe, ne peuvent non plus échapper à cette règle de l’intussusception. Un objet ou un rocher ne vivent pas une blessure, ils la subissent. L’être, lui, l’assimile activement, car assimiler demande de digérer, d’interpréter… Là aussi, la blessure aboutissant à la lésion ostéopathique ne peut qu’imposer au vivant de trouver sa solution pour la comprendre, l’entourer, la saisir par l’intelligence. C’est cette solution que nous pouvons appréhender comme une dysfonction-mémoire.
Input : Je peux aussi employer le terme de « passager clandestin » qui donne bien le sentiment de durabilité de ces évènements restés mémorisés, parfois depuis des décennies, dans la conscience tissulaire. Toutes ces expressions tendent à valider notre idée qu’une cause, subie par le corps et restée en mémoire, devient une donnée acquise, parmi d’autres, au sein du barrage ostéopathique.
Penser l’ostéopathie autour de la dysfonction-mémoire
Il nous est donc possible de penser l’ostéopathie autour de cette notion de dysfonction-mémoire opérant la fusion de celle de dysfonction complexe (dans ses dimensions multiple et plurivoque) au phénomène de mémorisation qui en permet l’organisation et la subsistance. Nos solutions thérapeutiques pourront découler naturellement de cette idée, espérant embrasser au mieux ce qui a fait que le corps de notre patient a échoué à digérer un input traumatique, métabolique ou émotionnelle, autrement que par une fixation de sa structure et au prix de la maladie qui l’a fait nous consulter. Comprendre le barrage ostéopathique comme une solution (NDA : une fonction cf. Renaudeau) adoptée par les tissus par l’incorporation active d’informations au sein de la structure – et non comme une simple blessure reçue par cette dernière – risque bien de changer notre propre compréhension de ce qui est réellement en jeu sous nos mains lorsque nous soignons.
La maladie est complexe donc, et c’est ainsi que, nous concernant, et analysant un schème dysfonctionnel, il me semble judicieux en pratique de préférer dans notre intention thérapeutique l’idée de clef d’anamnèse à celle de « lésion primaire » (NDA : je renvoie bien entendu ici à la notion d’intention, chère à Pierre Tricot9 et tout à fait fondamentale dans le soin). Le travail de l’ostéopathe consistant alors modestement à découvrir quelle clef devra être tournée pour désorganiser le schème morbide, bien plus que l’illusion d’en effacer une cause qu’on aura nécessairement simplifiée. Il s’agira bien de déprogrammer ce que le corps a érigé autour d’un engramme composite, en le mettant en présence d’une information elle aussi plurivoque, la plus proche et évocatrice possible de cet engramme pathogénique. Une clef donc, s’imbriquant du mieux possible dans la forme d’une serrure complexe : son reflet de similitude.
Ainsi nous abordons la substance, pour une part intangible, de la dysfonction ostéopathique à travers l’action que nous pouvons exercer sur elle, et elle n’existe peut-être vraiment à nos mains, dans toute sa richesse, qu’à l’instant où nous la traitons…
- Pierre Renaudeau, Définition médicale et scientifique de la lésion ostéopathique (et ses cousines), Le Site de l’Ostéopathie août 2012, repris sur Ostéo4pattes, janvier 2020.
- Robert Schleip, A new explanation of the effect of rolfing, Rolf Lines,1989.
- Pierre Marty, L’ordre psychosomatique, Éditions Payot, 1980.
- Frédéric Teste, Conversations tissulaires, Éditions Sully, 2022.
- Patrick Varlet, Ostéopathie somato-émotionnelle, Éditions Sully, 2009.
- Jean-Philippe Foissy, La désengrammation en ostéopathie énergétique, Éditions Sully 2010.
- Frédéric Teste, Penser l’ostéopathie… au-delà de la matière, à paraitre.
- Barbara Stiegler, Nietzsche et la vie, une nouvelle histoire de la philosophie, Éditions Gallimard 2021.
- Pierre Tricot, Approche tissulaire de l’ostéopathie, Livres 1 et 2, Éditions Sully 2002-2005.