À propos du livre Regards croisés sur l’Ostéopathie
En lisant l’article de Frédéric Pariaud* « La fin de l’insouciance », j’ai été interpellé par ce paragraphe
« Depuis quelques mois, la sulfureuse question des honoraires enflamme l’aréopage ostéopathique. Premier signe de ce changement d’ère : la multiplication des consultations dégriffées. Les premiers cas, d’abord isolés, se sont généralisés et l’on ne compte plus les -40%, -70% ou même -58 % sur les sites de services visant au bien-être. Ainsi, le prix de la consultation passe de 60 à 25 euros en deux clics avec l’assurance de faire appel à un praticien diplômé. Loin de voir dans cette pratique une « leclerisation de notre art » (1), nous pourrions applaudir ces ostéopathes qui permettent à un plus grand nombre de malades d’accéder à cette forme de thérapeutique en employant tous les moyens légaux mis à leur disposition. […] Dès lors, le fait de brader sa consultation sur Internet ne peut être analysé au regard de la tarification mais doit être compris comme le symbole d’une mutation de la nature même du geste qui contribue à la désunion des ostéopathes. L’envie de conclure à un épiphénomène anecdotique et caricatural, dont Internet est le média privilégié, est vite dépassée par la démesure des réactions des uns et des autres allant de la dénonciation (2), presque culturelle en France, à la défense paternaliste des pauvres « ni ni ». La vente en ligne apparaît comme un accélérateur d’installation permettant d’échapper à une précarité organisée par l’absence de contrôle du flux d’étudiants en ostéopathie ».
Notes
1. Cf. Pierre Renaudeau. Cet article n’est plus disponible actuellement
2. Voir l’article du SDO : GROUPON : Phénomène de société ou arnaque ? Cet article n’est plus disponible actuellement.
*S. Van Den Driessche, Le libre blanc du numerus clausus en ostéopathie, suivi de L’ostéopathie aujourd’hui et demain, Y. Constantinidès, G. Le Breton, F. Pariaud. Édition De Boeck, 2012, p. 97-98. Nous remercions Frédéric Pariaud d’avoir accepté de répondre à notre interrogation et de nous avoir autorisé à publier l’extrait suivant.
L’achat à petits prix de « séances » – et non de consultations – d’ostéopathie chez Groupon et consorts – comme le terme de « clients » et non de patients [1], marque d’une certaine dérive conceptuelle et épistémologique – est un phénomène de société récent. L’affirmation de Frédéric Pariaud que ces phénomènes ne sont pas une leclerisation de la profession mais seraient un moyen pour que d’autres couches de la population moins aisées accèdent à cette médecine me pose question ! Car on peut douter que ceux qui agissent ainsi le font dans le seul but de permettre à ces couches moins aisées de se faire soigner à moindre coût ! Œuvre charitable s’il en est, mais est-ce bien cela qu’ils cherchent ? Ne désirent-ils pas simplement résoudre un problème commercial : comment arriver à monter une clientèle quand on n’a pas de travail ?
Il serait utile, voire nécessaire, de se pencher sur ce phénomène et de l’étudier afin de connaître la motivation des confrères adeptes de Groupon !
Qu’ont-ils compris, ces grouponistes du vrai sens de l’Ostéopathie et que leur a-t-on appris de sa Philosophie ?
De nos jours, l’Ostéopathie est le plus souvent comparée et mise en valeur face aux professions de santé, comme elle l’a été jadis opposée et comparée à la Chiropratique. Est-on sûr que ce mode de fonctionnement permette à l’Ostéopathie de trouver sa vraie place ? N’est-on pas plutôt face à un problème d’affirmation identitaire, voire d’un simple désir de reconnaissance : comment trouver sa place face aux autres professionnels ostéopathes qui sont, eux, des professionnels de santé, avec tous les avantages que cela comporte et notamment la possibilité – illégale mais bien réelle – d’un remboursement par la Sécurité sociale ?
L’Ostéopathie propose un autre paradigme, celui de la Santé et en ce sens elle n’a que peu de choses à voir avec la médecine actuelle puisque celle-ci s’occupe de la maladie et jamais de la santé !
Suite à la publication des décrets de mars 2007, l’Ostéopathie est devenue en France une simple pratique dont le but est d’effectuer des manipulations pour « prévenir et remédier à des troubles fonctionnels du corps humain » [2]. À nos yeux, cette limitation des actes de l’Ostéopathe – soins des seuls troubles fonctionnels, interdiction des manipulations gynéco-obstétricales, des touchers pelviens, des manipulations cervicales, et des traitements des nourrissons avant 6 mois, ensemble réservé aux seuls professionnels de santé qualifiés [3] – est une dérive sur l’objet même de l’Ostéopathie. Elle est inconcevable pour l’Ostéopathe et s’explique par une méconnaissance complète des principes même de l’Ostéopathie, volontairement ignorés par les décideurs et conseillers du ministre de la Santé de l’époque, comme l’a si bien révélé Georges Dières Monplaisir [4].
Cette dérive est – à nos yeux – responsable de l’attitude de ces jeunes confrères car l’Ostéopathie qu’on leur a enseignée est tronquée par nécessité pour respecter des décrets qui n’ont aucun sens et qui donnent de l’Ostéopathie une image pâle de cette discipline. Le phénomène grouponiste n’étant qu’une conséquence de cette dérive.
Jean-Louis Boutin
Réponse de Frédéric Pariaud
Je te rejoins complètement sur l’analyse, en particulier lorsque tu évoques « une dérive sur l’objet même de l’Ostéopathie ».
Comme toi, je dénonce fermement les initiatives « groupons » qui désunissent plus qu’elles ne regroupent ; d’ailleurs dans l’article j’emploie le conditionnel : « Loin de voir dans cette pratique une « leclerisation de notre art », nous pourrions applaudir ces ostéopathes qui permettent à un plus grand nombre de malades d’accéder à cette forme de thérapeutique en employant tous les moyens légaux mis à leur disposition ».
Mais je cherche à dénoncer aussi l’attitude qui viserait en entretenir un rapport intra-disciplinaire de concurrence. Si on introduit l’idée d’une leclerisation, on dénonce des concurrents moins chers et peut-être moins bons, on reste néanmoins dans le registre du commerce du soin. Or je pense que l’intérêt supérieur du patient devrait nous rendre solidaires et non concurrents, soigner n’est pas vendre. En ce qui me concerne j’adresse régulièrement certains de mes patients à d’autres confrères qui me semblent plus qualifiés ou plus expérimentés.
Le but de cet article était de montrer que l’absence de contrôle du nombre d’ostéopathes n’est pas seulement une question de démographie ou de débouché ou de diminution de salaire, mais c’est aussi et surtout une question de définition du métier. Laisser faire la dérégulation, c’est accepter de fait une régulation de marché ce qui revient à enfermer notre discipline dans une définition de commerce du soin dans lequel je ne reconnais pas l’ostéopathie.
Enfin, je reste convaincu que l’ostéopathie possède une force de proposition thérapeutique, qui, à son tour, interroge un modèle de pensée thérapeutique dominant.
J’espère avoir fait écho à ta réflexion et profite de notre échange pour te remercier très chaleureusement pour ton site qui demeure malgré les tempêtes un espace de liberté non partisan si rare de nos jours.
Frédéric Pariaud
Notes
1. Lire l’article de Capital « Groupon : 2 millions de pertes par jour » de Andy David : dont nous extrayons ces deux passages :
« Quant à la qualité du service, elle a longtemps laissé à désirer, les clients se plaignant de la difficulté d’obtenir un rendez-vous à une heure décente. Autre grief, les coiffeuses ou esthéticiennes déplorent l’afflux par cars entiers de « grouponistes » certains jours. « Je me suis retrouvée avec 700 clients qui ont débarqué pour un lissage brésilien. Mes employés étaient dépassés», raconte la responsable d’un salon de coiffure parisien. […]
» Et cet ostéopathe de Sucy-en-Brie regrette amèrement d’avoir proposé ses services à 20 euros au lieu de 55: « Je pensais avoir une centaine de consultations au plus, j’ai eu 300 clients. » Soyons justes, Groupon a corrigé le tir, comme en témoigne la baisse sensible des plaintes déposées à la Répression des fraudes. «On fixe désormais avec les commerçants un plafond de coupons pour chaque deal», indique Philippe Jochem. Et un agenda en ligne permet d’étaler les rendez-vous ».
Qui plus est, les « grouponistes » se montrent peu fidèles !
=> Article de Capital https://www.capital.fr/enquetes/derapages/groupon-2-millions-de-pertes-par-jour-683703 [consulté le 16/12/12].
2. L’article 1 du décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d’exercice de l’ostéopathie stipule :
« Les praticiens justifiant d’un titre d’ostéopathe sont autorisés à pratiquer des manipulations ayant pour seul but de prévenir ou de remédier à des troubles fonctionnels du corps humain, à l’exclusion des pathologies organiques qui nécessitent une intervention thérapeutique, médicale, chirurgicale, médicamenteuse ou par agents physiques. Ces manipulations sont musculo-squelettiques et myo-fasciales, exclusivement manuelles et externes. Ils [les ostéopathes] ne peuvent agir lorsqu’il existe des symptômes justifiant des examens paracliniques » Décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 [consulté le 16/12/12].
3. Article 3 du décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d’exercice de l’ostéopathie :
« I. – Le praticien justifiant d’un titre d’ostéopathe ne peut effectuer les actes suivants :
1° Manipulations gynéco-obstétricales ;
2° Touchers pelviens.
II. – Après un diagnostic établi par un médecin attestant l’absence de contre-indication médicale à l’ostéopathie, le praticien justifiant d’un titre d’ostéopathe est habilité à effectuer les actes suivants :
1° Manipulations du crâne, de la face et du rachis chez le nourrisson de moins de six mois ;
2° Manipulations du rachis cervical.
III. – Les dispositions prévues aux I et II du présent article ne sont pas applicables aux médecins ni aux autres professionnels de santé lorsqu’ils sont habilités à réaliser ces actes dans le cadre de l’exercice de leur profession de santé et dans le respect des dispositions relatives à leur exercice professionnel [Décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d’exercice de l’ostéopathie consulté le 16/12/12].
Ce certificat de contre-indication n’est pour ainsi dire jamais délivré dans la mesure où d’une part la responsabilité du médecin est directement mise en cause en cas – rarissime – d’accident, et d’autre part les syndicats de médecins comme le conseil de l’Ordre leur ont déconseillé fermement de l’établir.
4. Georges Dières Monplaisir : Ostéopathie, rationalité médico-scientifique et pouvoirs publics : administrer les médecines non conventionnelles entre preuves et épreuve (2002-2007). Mémoire de Master 2 Santé Population et Politiques Sociales sous la direction de Carine Vassy, Maître de conférences à l’Université Paris-XIII
1ère parution sur le Site de l’Ostéopathie en regard du livre « Regards croisés sur l’ostéopathie »