HAS – Prévention des déformations crâniennes positionnelles

La Haute Autorité de Santé (HAS) a émis le Jeudi 5 Mars 2020 :

– une Fiche Mémo intitulée : « Prévention des déformations crâniennes positionnelles (DCP) et mort inattendue du nourrisson » : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-02/reco276_fiche_memo_deformatons_craniennes_min_cd_2020_02_05_v11_fev.pdf
– un Rapport d’élaboration décrivant la méthodologie utilisée et le contexte d’élaboration de la Fiche Mémo : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-02/reco276_rapport_elaboration_fm__deformations_craniennes_min_cd_2020_02_05_v0.pdf

J’ai l’honneur d’avoir fait partie du groupe d’experts missionnés par la HAS pour la rédaction de la Fiche Mémo. À ce titre, nous avons le devoir de communiquer sur ces recommandations, de les diffuser, et aussi de les expliquer.

Tout d’abord, il est important de comprendre la méthodologie de rédaction d’une Fiche Mémo HAS : https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2016-04/guide_methodologique_fiche_memo_fiche_pertinence.pdf

Une Fiche Mémo permet à un groupe d’experts d’établir des recommandations sur un sujet donné, en s’appuyant sur l’analyse de la littérature scientifique internationale.

Par ailleurs, les Fiches Mémo « ne sauraient dispenser le professionnel de santé de faire preuve de discernement dans la prise en charge du patient qui doit être celle qu’il estime la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations et des préférences des patients » (page 2 du Rapport d’élaboration). Cela nous rappelle les trois piliers de l’Evidence Based Medecine telle que décrite par Sackett en 1996 (1) :

– données de la recherche ;
– expérience clinique du praticien ;
– préférences et attentes du patient.

L’objectif principal de cette Fiche Mémo est de donner des recommandations sur la prévention des déformations crâniennes positionnelles (DCP, plagiocéphalie et brachycéphalie positionnelles) tout en rappelant les consignes de prévention de la mort inattendue du nourrisson (MIN) qui font l’objet d’un consensus international. La question de la prise en charge des DCP est abordée dans un second temps.

Nous étions 19 experts dans le groupe de travail, la liste des membres est disponible en page 158 du Rapport d’élaboration.  Durant presque 2 ans, nous avons échangé et nous nous sommes réunis à plusieurs reprises dans les locaux de la HAS afin de rédiger cette Fiche Mémo.

Elle s’adresse « à tout professionnel en contact avec les parents et les familles : aide-soignant(e), assistante maternelle, auxiliaire de puériculture, infirmier(e), kinésithérapeute, médecin généraliste, ostéopathe, pédiatre, psychomotricien(ne), puériculteur(trice), sage- femme, technicien d’intervention sociale et familiale, qui prend en charge les nourrissons en ville ou dans le cadre des établissements de soins publics ou privés » (page 7 du Rapport d’élaboration). Les ostéopathes sont donc bien cités et concernés par l’application de cette Fiche Mémo.

Concernant le contenu, les recommandations sont justes et fidèles par rapport à la littérature scientifique actuelle. Analysons cela en suivant la Fiche Mémo point par point.

« Rappel des facteurs de risque et de la prévention de la mort inattendue du nourrisson ».

Par définition, la MIN est : « une mort survenant brutalement chez un nourrisson alors que rien, dans ses antécédents connus, ne pouvait le laisser prévoir » (page 9 du Rapport d’élaboration). Il est rappelé que le «  principal facteur de risque est le couchage en position ventrale et latérale ».

Ainsi, les consignes de prévention concernant le couchage sont claires et font partie d’un consensus international basé sur de nombreuses publications scientifiques. Ces consignes ont permis une diminution des cas de MIN entre les années 1990 et aujourd’hui.

« Il est recommandé de coucher systématiquement le nourrisson sur le dos dans un lit adapté : sur un matelas ferme dans un lit à barreaux, installé dans une turbulette adaptée, sans oreiller ni couette ni couverture, avec une température ambiante modérée (18-20°) ; idéalement dans la chambre des parents les 6 premiers mois de vie ; sans partage du lit parental ; sans exposition au tabac. »

Il est tout à fait possible de prévenir les DCP tout en respectant les consignes de couchage sur le dos. La suite de la Fiche Mémo permet justement d’expliquer comment.

« Définition et diagnostic des déformations crâniennes positionnelles (DCP) ».

Il est rappelé la différence entre plagiocéphalie positionnelle, qui est une déformation asymétrique du crâne, et brachycéphalie positionnelle, qui est un aplatissement postérieur symétrique. Le terme positionnel est classiquement utilisé dans la littérature pour distinguer de la craniosténose.

Ensuite l’accent est mis sur l’importance de l’examen clinique. Il est essentiel pour tous les professionnels concernés de réaliser un examen clinique rigoureux afin de bien diagnostiquer tout torticolis chez l’enfant, qui est un facteur de risque, et sans doute le plus important, de plagiocéphalie. Il s’agit notamment de repérer le torticolis postural, trop souvent non diagnostiqué et non pris en charge en pratique puisqu’il est moins flagrant et plus difficile à évaluer que le torticolis musculaire congénital.

La Fiche Mémo explique bien les 2 types de torticolis :

« – le torticolis postural, attitude préférentielle en inclinaison latérale céphalique et rotation du côté opposé, intermittente mais sans limitation à la mobilisation passive controlatérale ;
– le torticolis musculaire congénital, attitude permanente en inclinaison latérale céphalique et rotation du côté opposé avec limitation à la mobilisation passive controlatérale.  »

« Facteurs de risque des déformations crâniennes positionnelles »

Ils sont à connaître car ils permettent aux professionnels d’être particulièrement attentifs aux nourrissons concernés par ces facteurs de risque. Nous pouvez en citer certains : la prématurité, la gémellarité, le torticolis postural et congénital, la position en siège in-utéro…

« Complications possibles des déformations crâniennes positionnelles »

Ce passage est délicat car soumis à interprétation.

« Aucune donnée de la littérature ne permet de conclure à un lien de causalité entre DCP et retard neuro-développemental, troubles spécifiques ophtalmologiques, oculomoteurs, ou vestibulaires. »

En effet, la littérature montre qu’il peut y avoir des troubles associés à la plagiocéphalie, mais à ce jour le lien de causalité n’est pas démontré, cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas, mais simplement qu’il n’est pas clairement établi.

Des études (voir Rapport d’élaboration p.47) pointent du doigt le fait que la plagiocéphalie pourrait être un marqueur de retard ou de trouble du développement, et qu’il faut donc être attentif au développement des enfants qui ont une plagiocéphalie, mais nous ne savons pas encore à ce jour si la plagiocéphalie est la cause de ce trouble, ou un facteur associé.

« Seuls les troubles de l’articulé dentaire avec latéromandibulie, les troubles posturaux (risque de rétraction musculaire) peuvent être retrouvés dans les formes sévères de plagiocéphalie fronto-occipitale.
Dans les formes plus prononcées et en l’absence d’une prise en charge adaptée et précoce, les retentissements morphologiques ou esthétiques peuvent persister. »

Ainsi, la plagiocéphalie ne revient pas forcément toute seule avec le temps comme on entend parfois. Dans la seule étude française, réalisée à Lyon, publiée en 2019 par le Professeur Di Rocco et al (2), la prévalence de la plagiocéphalie était de :

-40,5% entre 1 mois et 12 mois ;
-15,6% entre 2 et 4 ans ;
-30,5% entre 5 et 8 ans ;
-18,5% entre 9 et 12 ans ;
-12% entre 13 et 18 ans.

Cependant, il ne faut pas inquiéter les parents pour autant. Nous manquons de données scientifiques fiables à ce jour pour tirer des conclusions définitives sur ce point.

En revanche, cette Fiche Mémo donne les moyens pour prévenir et prendre en charge la plagiocéphalie afin d’éviter qu’elle évolue et que des troubles éventuels puissent persister. Il convient donc de suivre ces recommandations, ne serait-ce que par principe de précaution.

« Prévention primaire des déformations crâniennes positionnelles »

Le point important à retenir de ce document selon moi, est celui-ci, car une prévention bien conduite permet sans doute d’éviter la majorité des déformations crâniennes positionnelles.

Tout est clairement résumé ici :

« La prévention repose sur le principe de respect de la motricité libre et spontanée du nourrisson.
Les mesures de prévention doivent être expliquées dès la période anténatale, lors du séjour en maternité et durant les premiers mois de vie.
Tous les professionnels intervenant auprès des nourrissons et leurs familles devraient connaître ces mesures de prévention. »

À noter que les positions sur le ventre et sur le côté doivent être proposées tous les jours au nourrisson, plusieurs fois par jour, toujours sous surveillance, et en respectant la tolérance de l’enfant.

« Prise en charge des déformations crâniennes positionnelles (DCP) constituées »

Ce n’était pas l’objet principal de cette Fiche Mémo, car avec une prévention bien conduite et précocement, une partie des DCP devrait être évitée. Toutefois, il est nécessaire de préciser quelle prise en charge doit être réalisée dans le cas où une DCP apparaîtrait malgré tout. Encore une fois, cette partie s’appuie sur les données de la littérature scientifique actuelle. Par ailleurs, « des mesures anthropométriques simples sont utiles pour mesurer l’évolution d’une DCP ». En général ces mesures sont effectuées en pratique clinique soit à l’aide d’un compas/craniomètre, d’un pied à coulisse, ou de bandes thermoformables.

Recommandations positionnelles

En termes de repositionnement, le principe est simple :

« Dès que la DCP est diagnostiquée, il faut éviter l’appui de la partie aplatie de la tête tout en favorisant la mobilité du nourrisson…et le respect des mesures de prévention de la MIN ».

Ainsi, pour une plagiocéphalie droite, il s’agira de positionner l’enfant avec sa tête en rotation gauche lorsqu’il est sur le dos, afin que ce soit l’arrière du crâne à gauche qui soit en appui, et que l’arrière du crâne à droite soit ainsi libre de tout appui.

Kinésithérapie

Plusieurs études montrent l’intérêt de la kinésithérapie dans la prise en charge du torticolis (Rapport d’élaboration p.85). La kinésithérapie doit donc être prescrite au plus tôt par le médecin lorsqu’un torticolis est diagnostiqué, car c’est un facteur de risque très important dans la survenue d’une DCP, et car il peut perturber le développement normal de l’enfant, notamment sur le plan psychomoteur.

Ostéopathie

« Actuellement les données scientifiques ne permettent pas de recommander l’ostéopathie. Une approche ostéopathique à orientation pédiatrique peut être associée à la kinésithérapie en deuxième intention dans le cadre d’une prise en charge pluri-professionnelle. »

Ces 2 lignes sont soumises à interprétation et méritent que l’on s’attarde à les analyser. 

Chaque mot a son importance dans ce genre de document. Le terme « actuellement » montre une évolution possible et sous-entendue par la HAS. Il n’y a malheureusement que très peu d’études publiées sur ce sujet en ostéopathie, c’est pourquoi elle ne peut être recommandée actuellement. Mais il n’est pas dit que l’ostéopathie n’est pas recommandée, et heureusement car cela aurait été très négatif. Il est dit que « actuellement les données scientifiques ne permettent pas de recommander l’ostéopathie », ce qui est sensiblement différent. Cela signifie que si nous réalisons des études évaluant et montrant notre efficacité, alors l’ostéopathie pourrait être recommandée. La porte nous est donc ouverte.

Ensuite, sur un consensus des 19 experts, validé par la HAS, l’ostéopathie est citée comme une possibilité de prise en charge, ce qui est une première, alors qu’il existe peu de preuves scientifiques. La HAS aurait donc pu s’arrêter à la 1è phrase. C’est certainement grâce à nos résultats cliniques, à la demande et la confiance des parents que nous avons eu droit à cette reconnaissance. Nous pouvons humblement considérer cela comme une belle avancée pour la profession, et nous n’aurions pas pu espérer mieux au vu du manque de littérature scientifique.

Concrètement, qu’est-ce que ces recommandations changent en pratique par rapport à l’ostéopathie ?

Les professionnels (médecins, pédiatres ou autres) qui ne voyaient pas l’intérêt de l’ostéopathie dans ce domaine, ont maintenant un document officiel qui stipule que l’ostéopathie peut être conseillée aux parents, ce qui est plutôt positif.

Le terme « deuxième intention » signifie simplement qu’avec les données actuelles, l’ostéopathie ne peut être recommandée en première intention, contrairement à la kinésithérapie qui bénéficie de données probantes de son efficacité dans ce domaine. C’est donc logique que l’ostéopathie soit conseillée après la kinésithérapie, qui reste cependant sous prescription médicale. Evidemment nous gardons notre statut de praticiens de première intention, donc les parents pourront toujours venir nous consulter de leur propre chef en première intention, c’est-à-dire sans passer par le médecin ou pédiatre avant, comme ils le font déjà actuellement, et cela se justifie d’autant plus désormais. En revanche, c‘est à nous ostéopathes d’être suffisamment formés et attentifs afin d’orienter les parents vers le médecin en cas de besoin.

Ainsi, pour finir sur l’ostéopathie, nous pouvons être humblement satisfaits par la prise en considération de la HAS à notre égard :

– le fait que je fasse partie des membres du groupe en tant qu’ostéopathe exclusif est une première ;
– il y avait également une médecin ostéopathe dans le groupe ;
– et la SEROPP (Société Européenne de Recherche en Ostéopathie Périnatale et Pédiatrique) a été consultée également en tant que partie prenante (p.122 du Rapport d’élaboration).

Tout cela est la preuve d’une participation active des ostéopathes dans la rédaction de ce document, qui a permis d’avoir ces 2 lignes à notre sujet. Cela semble être une première pour des recommandations nationales de la HAS en France, voire une première mondiale car à ma connaissance l’ostéopathie ne figure dans aucune recommandation sur la plagiocéphalie au niveau international. A nous ostéopathes, de nous servir de ces recommandations pour en tirer des points positifs comme je viens de le faire, afin d’asseoir un peu plus, et modestement, notre rôle auprès des nourrissons.

Évidemment notre rôle est en pratique plus important que ces 2 lignes dans la Fiche Mémo. Les parents sont très nombreux à nous consulter car nous avons des résultats cliniques aussi bien sur le torticolis que sur la plagiocéphalie, nous le prouvons tous les jours en cabinet, mais il faut aussi le prouver à travers des études publiées dans des revues scientifiques si nous voulons prétendre à une recommandation officielle.

À ce jour, à ma connaissance, il n’existe que 2 études évaluant l’efficacité de l’ostéopathie sur la plagiocéphalie. Celle de Sylvie Lessard publiée en 2011 (réf 140 du Rapport d’élaboration), et notre étude publiée récemment dans les suites de la publication de la Fiche Mémo, donc elle n’a pas été prise en compte dans le rapport d’élaboration (3). C’est une étude modeste qui comporte plusieurs biais, mais qui permet quand même d’apporter quelques éléments de réflexion suggérant l’efficacité de l’ostéopathie dans la prise en charge de la plagiocéphalie.

Désormais c’est à nous ostéopathes, de mettre notre expérience et notre expertise en commun afin de réaliser d’autres études bien menées sur ce sujet, dans l’intérêt de l’ostéopathie, mais surtout dans l’intérêt des nourrissons.

Orientation vers une équipe spécialisée et place de l’orthèse crânienne

Il s’agit ici de rappeler que l’orthèse crânienne est un dispositif médical, qui doit être prescrit par un médecin spécialiste ayant évalué la balance bénéfice-risque pour l’enfant. C’est une décision prise au cas par cas, qui repose sur l’historique et les antécédents de l’enfant, son âge, la sévérité de la DCP, et le souhait des parents. Selon moi, si la prévention est bien conduite, la prise en charge précocement effectuée et bien réalisée, la question de l’orthèse ne devrait pas se poser.

Pour conclure, la HAS demande de diffuser largement ces recommandations afin qu’elles soient appliquées par le plus grand nombre de professionnels de la périnatalité. Ainsi, n’hésitez pas à partager la Fiche Mémo à tous les professionnels concernés.

Gianni MARANGELLI, ostéopathe pédiatrique à Lyon, attaché à la maternité du Médipôle Lyon-Villeurbanne. Contact : marangelli.gianni@gmail.com

Bibliographie

Note : seules les références non utilisées dans le Rapport d’élaboration sont rapportées ici. Pour tout le reste, les références nécessaires à la rédaction de cet article sont en page 151 du Rapport d’élaboration.

(1) Sackett DL, Rosenberg WM, Gray JA, Haynes RB, Richardson WS. Evidence based medicine: what it is and what it isn’t. BMJ 1996;312(7023):71-2.

(2) Di Rocco F, Ble V, Beuriat PA, Szathmari A, Lohkamp LN, Mottolese C. Prevalence and severity of positional plagiocephaly in children and adolescents. Acta Neurochirur (Wien) 2019;161(6):1095-8.

(3) Marangelli G, Adouard J, Josse B, Ducourneau J, Chastagner AS, Messien C. Efficacité du traitement ostéopathique dans la prise en charge de la plagiocéphalie postérieure d’origine positionnelle du nourrisson. La Revue de l’Ostéopathie 2020;24:5-16.


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