ψ48 – L’essentiel ?

Qu’est ce que c’est pour vous « Etre Vétérinaire » ?

Les années de salariat avec des confrères dont je ne partageais pas toujours les objectifs, les études d’ostéopathie, les diverses rencontres avec des soignants alternatifs, bref, la vie quoi, m’ont montré que définitivement, pour moi « être vétérinaire », ça n’était plus du tout « faire des vaccins et vendre des croquettes », et ça n’était pas non plus lancer une chimio sur un furet atteint de lymphosarcome…..je sais, je prends des exemples extrêmes….

D’autre part, vous avez tous, sinon dans votre salle d’attente ou dans les toilettes de votre lieu d’exercice, au moins vu, les magnifiques affiches du Conseil de l’Ordre des Vétérinaires, qui jouent sur l’expression « Vétérinaire, pour la Vie »….
Moi, je l’ai comprise, à la fois, comme : « quand on est vétérinaire, on cherche à préserver la vie » (sinon, la santé… mais là, c’est un autre débat…) mais aussi, comme, « lorsqu’on est vétérinaire, on n’en sort pas, c’est pour toute la vie » ….même Jean-Pierre Dick (navigateur au long cours) ou Patrick Bouchitey (réalisateur de cinéma), on leur parle toujours de leur formation initiale, même si ca fait belle lurette qu’ils n’ont plus fait de vaccin ou vendu de croquettes…Et ça me gène toujours un peu d’être assimilée à ce qu’on fait professionnellement… On m’a déjà dit que ma voiture n’était pas une voiture de véto (Ah bon, le 4×4, c’est obligatoire?)….

Bref, est-ce que moi, je me voyais être vétérinaire toute ma vie? Et si je me pose la question, c’est bien que la réponse « non » est envisageable….
Et les récents débats sur la position de la profession vis à vis des ostéos non-vetos ont ravivé cette question dans ma tête.

Et bien, la vie, ou le hasard (qui n’existe pas, c’est facile à dire, mais c’est parfois plus facile à dire qu’à voir) s’est chargé de me donner une étrange leçon récemment…

Voila l’histoire :

Je me suis retrouvée fin novembre au cœur de la foret amazonienne, dans un endroit où se mêlaient les gens de diverses nationalités. Les raisons de ma présence à cet endroit n‘ont pas d‘intérêt pour ce qui va suivre. Bref, un endroit où j’étais juste « Marie », une jeune femme française….. Seuls les autres personnes du groupe de Français dont je faisais partie connaissaient ma profession…J’étais là juste pour moi, sans être assimilée à ce que je faisais dans la vie, et c’était très bien comme ça.

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J’avais remarqué de loin, parmi les autres résidents de cet endroit, une femme toujours accompagnée d’un petit chien , toujours dans ses bras ou dans un panier.. Femme assez discrète, petit chien très calme, moi pas trop du genre à aller leur sauter dessus…..donc, pas plus de contact qu’un hello de temps en temps….
Quelques jours plus tard, elle m’aborde, en me disant qu’on lui avait dit que j’étais vétérinaire, que son petit chien qui est paralysé, s’était fait mordre et si je pouvais lui donner mon avis sur la plaie… Plaie de 15cm sur un chien de 4 kg, suturée sommairement, suintante et plutôt ce que l’on pourrait qualifier ici de « moche »… les conditions là-bas, c’est 35°C jour et nuit et 98% d’humidité… pas le top pour la cicatrisation… Bref, je lui dis que je ne trouve pas ça trop chouette, qu’elle pourrait peut-être retourner voir le veto local de la ville voisine, qui avait posé les points et elle accepte d’y aller le lendemain….

Et j’oublie un peu la femme, qui s’appelle Jenifer et sa petite chienne, qui s‘appelle Nooka et qui viennent du Canada toutes les deux….

Le lendemain soir, en plein milieu du réfectoire, Jen m’appelle discrètement, Nooka s’était fait anesthésier pour une suture complémentaire dans l’après-midi et sa respiration lui semblait étrange….

Tellement étrange qu’elle ne respirait plus….

Bref, je me retrouve en plein cœur de la foret amazonienne, sans stetho, sans médicament, sans rien, avec un chien qui fait une syncope et une propriétaire, dont il était assez facile de voir que son petit chien, c’était toute sa vie….

Je prends le petit chien , je sors du réfectoire, je m’agenouille dans le sable, j’essaie de sentir des battements cardiaques, une respiration, rien. Je soulève les babines, les muqueuses sont grises. Et je touche son globe oculaire sans déclencher de réflexe… j’ai oublié le nom de ce réflexe, mais c’est pas bon… et je le dis à Jen….
Alors, sans réfléchir, je souffle dans les narines du petit chien, j’improvise un massage cardiaque approximatif, et je prie pour qu’elle revienne parmi nous, en lui disant mentalement que sa maitresse a encore besoin d’elle… Je mets dans mes mains tout ce que je peux d’intentions positives, en acceptant aussi qu’elle puisse mourir….

Et elle inspire enfin, après un temps qui m’a paru s’arrêter…..

Et c’est là, de nuit dans la foret amazonienne, auprès de ce petit chien, avec ma lampe frontale pour tout accessoire, que je me suis dit : « tu peux aller où tu veux, tu seras toujours un peu vétérinaire, finalement… ». Et j’ai été très heureuse d’avoir pu aider Jen et Nooka à faire encore un bout de chemin ensemble….

Qui a dit, « l’essentiel, c’est ce qui reste quand on a tout oublié »? Je ne sais plus.


3 réflexions sur “ψ48 – L’essentiel ?”

  1. L’essentiel?
    7 mars 17:36, par Marie José Maître

    Jolie cette expérience au pays des arbres …

    J’ai toujours su qu’être vétérinaire était une grande chance, mais que dire quand on a le bonheur d’apprendre l’ostéo , l’acu et tout et tout : on allie la chance et une opportunité de bonheur offerte par les anges !!! et en plus on partage ce « miel » avec nos semblables !

    Alors vendre des croquettes c’est très loin … mais pour certains ça peut-être un début et j’exhorte mes jeunes consoeurs & confrères à s’intéresser à ce dont on ne parle pas à l’école (sauf à Nantes !)

    1. Jean Louis Boutin

      L’essentiel?
      Cette phrase célèbre est attribuée à Édouard Hérriot dans Jadis – Avant la première guerre mondiale / Flammarion 1948, p. 104 :

      « Ce que j’emportais de plus précieux ne pouvait s’enfermer dans une malle. « La culture, – a dit un moraliste oriental, – c’est ce qui reste dans l’esprit quand on a tout oublié. » J’avais acquis à l’École [normale supérieure] une méthode pour le travail et le goût de cet ordre qui impose la discipline de l’esprit à la confusion des choses. Aucun besoin d’agir. L’action, dont on dit communément qu’elle est une affirmation, est, en vérité, la négation de tous les possibles moins un. »

  2. catherine rigal

    L’essentiel ?
    merci Marie pour ce beau et bon partage. Je suis toujours touchée par ce que tu exprimes.
    J’ai l’impression et même la conviction que ce savoir est celui que nous avons appris, bien sûr, mais aussi celui de se laisser être relié à un savoir universel, à l’inconscient collectif nourri de toutes les expériences humaines et ?au-delà? depuis la première bactérie ou avant?

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