Lette ouverte à l’Académie de Médecine

Ainsi le rapport de l’académie de médecine sur l’ostéopathie est tombé tel un sacro-saint couperet et voilà bon nombre de nos confrères ostéopathes, médecins ou non, en train de se battre la coulpe, clamant l’impérieuse nécessité d’études scientifiques sur le sujet et dressant un piedestal à l’evidence-based medicine. Le médecin ostéopathe, praticien que je suis, est beaucoup plus réservé sur un rapport qui non seulement n’apporte pas vraiment d’arguments décisifs mais présente de réelles contradictions et failles. Ce rapport, après une présentation de la situation française qui met à juste titre l’accent sur l’hétérogénéité dans les formations et les modes d’accès à celles-ci, est censé démontrer l’absence de fondement de l’ostéopathie que l’on se tourne aussi bien vers l’évaluation scientifique diagnostique et thérapeutique que vers l’étude de ces bases philosophiques.

Avant de répondre à l’argumentaire avancé il faut se poser quelques questions de fond.

La connaissance de l’homme passe-t-elle de façon exclusive par la science ?
Doit-on considérer qu’il n’y a qu’une médecine ou des médecines ? Autrement dit la médecine est-elle une entité indépendante de la culture, du contexte économique, social et religieux ? A ce jour l’état des connaissances scientifiques dans la médecine occidentale n’est-il pas en partie dépendant par exemple de l’état du système de soins et des laboratoires pharmaceutiques ? 
La médecine est la science des maladies et l’art de les guérir, garde-t-elle à ce jour ces deux pôles d’intérêt ou considère-t-elle que l’art de guérir passe après la science des maladies?
Si l’on admet qu’il y a un art de guérir, donc une singularité dans la rencontre thérapeute patient, quelle place prend alors l’evidence-based  medicine ?
La médecine est-elle opérateur dépendant ?
Puisque l’évaluation est nécessaire quel est le rôle de l’observateur dans cette évaluation ? Ne pense-t-on pas aujourd’hui en physique que le seul fait d’observer un phénomène conditionne le phénomène et donc les résultats obtenus ?

Ces questions ne sont pas superflues, en amenant d’autres : par qui ce rapport a-t-il été écrit, où et quand ? Des membres de l’académie de médecine en France en 2006 ont posé leur regard sur l’ostéopathie et en donne une image, reflet de leurs formations, de leurs expériences et d’un contexte socioculturel.

L’ostéopathie a une spécificité : son diagnostic et son traitement sont manuels, à ce titre elle repose sur un acquis sensoriel et sur une pratique corporelle tout comme la pratique d’un instrument de musique. Et que nous demande-t-on ? Que diagnostic et traitement soient reproductibles, mais c’est improbable puisqu’ ici tout se construit sur le mode perceptif, ce qui ne signifie pas pour autant absence de référentiel. Reprenons l’exemple de la musique, on peut apprendre à jouer du piano, on peut jouer Chopin au piano, c’est opérateur dépendant mais cela a une réalité. En médecine l’examen clinique est opérateur dépendant ; qui a posé un stéthoscope sur ses oreilles le sait bien, en médecine le traitement est opérateur dépendant ; qui est passé sur une table d’opération  le sait bien aussi. Et en ostéopathie qui par essence est construite sur du sensoriel, on nous laisse le choix entre reproductibilité ou charlatanisme. C’est un peu réducteur.

Bien que construite sur un référentiel sensoriel, il existe bien une sémiologie ostéopathique. Elle peut s’apprendre, point n’est question de don particulier, elle pourrait d’ailleurs fort bien s’intégrer à la sémiologie médicale. Si l’on considère le patient et son unicité, la sémiologie est une et indivisible, cependant si l’on considère la sémiologie médicale enseignée dans les facultés de médecine, sémiologie qui nous a été enseignée, et la sémiologie ostéopathique, force est de constater qu’il existe bien deux sémiologies différentes ; chacune concourt à une meilleure compréhension du patient. Affirmer qu’il n’existe pas de sémiologie ostéopathique relève d’une méconnaissance de l’ostéopathie. La sémiologie ostéopathique passe par l’éducation de la main, à la recherche de restriction de mobilité, de densité et de tension tissulaire, de réaction tissulaire à une contrainte mécanique exercée par le thérapeute. Comme toute sémiologie elle nécessite un apprentissage spécifique, elle enrichit l’examen clinique. Les médecins étudiant l’ostéopathie sont tous unanimes sur ce point ; que plus tard ils pratiquent ou non, tous confirment : « j’aurais au moins appris à mieux examiner mon patient. »

Concernant les résultats de l’ostéopathie, pêle-mêle, le rapport évoque bien sûr les traditionnels et bien réels, effet placebo et guérison spontanée des maladies chez des patients le plus souvent fonctionnels. C’est étonnant : quand l’ostéopathe guérit un patient c’est que ce dernier aurait guérit tout seul ou qu’il n’était pas vraiment malade, par contre quand un patient est aggravé suite à une séance d’ostéopathie, c’est l’ostéopathe qui l’a aggravé… Le rapport confond le terme fonctionnel en médecine et en ostéopathie, c’est une erreur : en ostéopathie quand on parle de fonctionnel on parle d’un trouble de la fonction sans altération organique ce qui n’a rien à voir avec les patients définis comme « fonctionnels » en médecine.

La « doctrine ostéopathique » est présentée comme une anti-médecine aux dogmes dépassés. Quels ostéopathes à ce jour, médecins ou non-médecins se réclameraient de l’anti-médecine ? Point d’anti-médecine aujourd’hui, nous sommes dans l’art de guérir, mais présenter l’ostéopathie comme une anti-médecine la met délibérément en défaut. « Les dogmes », le terme de principes fondateurs est plus approprié et moins connoté, constituent un modèle théorique, support d’une pratique. Il est certain que ce modèle doit se conformer aux connaissances actuelles et toutes les bases de l’ostéopathie peuvent être discutées, contestées, remaniées. Encore faut-il garder un fondement minimum qui pourrait être : l’ostéopathie est une pratique thérapeutique manuelle, dont la sémiologie est basée sur la recherche de modifications tissulaires en terme de densité, perte de mouvement et réaction à une contrainte mécanique, dans un examen clinique général qui considère l’individu dans sa globalité. Aujourd’hui l’ostéopathie avant de s’appuyer sur une inspiration philosophique, s’appuie sur la main. Sa sémiologie, ses résultats passent par la main. Les évaluations critiques des preuves scientifiques concernant l’ostéopathie, en particulier dans le champ crânien, ont souvent abouti à constater le manque de fiabilité inter examinateur de l’examen ostéopathique, tout en constatant une fiabilité intra examinateur ; cela doit nous amener, ostéopathes, à s’interroger sur notre pratique et son évaluation. Il nous faut accepter les confrontations, les remises en cause des concepts tant dans le milieu ostéopathique médical que non médical, il nous faut envisager un travail de recherche et d’évaluation mais croire que l’ostéopathie passe par l’evidence based medicine me semble une grave erreur, qui loin de servir l’ostéopathie va l’appauvrir jusqu’à la faire disparaître.

De quel côté sont les dogmes et les idées préconçues, arguments ressassés, utilisés pour critiquer toutes les pratiques à exercice particulier de l’acupuncture à la  psychanalyse, pratiques qui introduisent dans le rapport médecin-patient, un facteur humain non reproductible ? Dans leur rapport, les académiciens voudraient « enseigner la médecine en tenant un plus grand compte de sa composante humaniste », mais dés qu’il y a un facteur humain dans la médecine le voilà éliminé au non de la reproductibilité et de l’evidence-based medecine. C’est dans l’air du temps mais notre monde marche sur la tête et nous avec. Qu’un dialogue réel s’engage, sans à priori et peut-être aboutira-t-on à un second rapport de l’académie de médecine qui mettra en lumière d’autres aspects de l’ostéopathie que ceux avancés jusqu’ici.

Dr Alain CASSOURRA

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