Oliver est un chat Exotic Shorthair de 12 ans, adopté assez jeune par sa propriétaire, après un début de vie « difficile » semble-t-il, mais dont on ne sait pas grand chose. Il sort un peu dans le jardin, c’est un chat assez tranquille de petit gabarit. Il est suivi régulièrement par son vétérinaire traitant (visites annuelles classiques).
Rien à signaler de particulier dans sa vie jusqu’à ce qu’il maigrisse petit à petit (PS normale), et qu’il développe une parésie postérieure bilatérale évoluant sur plusieurs semaines jusqu’à une paralysie complète de l’arrière train avec déficit proprioceptif bilatéral sévère.
La sensibilité superficielle au niveau des doigts postérieurs est nulle, et il faut pincer vraiment fort au niveau osseux pour obtenir le retrait. Il fait toujours ses besoins volontairement, mais difficilement compte-tenu du problème moteur.
L’amyotrophie est importante (évolution sur plusieurs semaines).
En pratique, il se traîne sur les fesses avec les antérieurs, les postérieurs restant inertes. Il ne tient pas debout, ne marche plus, la queue ne bouge pas.
Le poil est piqué, un peu gras avec présence de squames surtout sur la zone lombaire.
La photo 1 illustre la position caractéristique, mais n’a été prise que lors de la 3ème consultation.
Une radio est réalisée par le vétérinaire traitant. Cf photos 2 et 3. On observe une spondylarthrose lombaire sévère (becs de perroquets, ponts osseux), l’espace inter-vertébral est rétréci, la compression des racines nerveuses expliquant les symptômes cliniques.
Les radios sont montrées à un chirurgien orthopédique référant de la région pour avis, son pronostic n’est guère encourageant, l’opération n’est pas trop conseillée, en tout cas très incertaine quant aux résultats. Divers médicaments sont essayés sans amélioration.
La vétérinaire me demande si on peut « faire quelque chose » en ostéopathie…
En accord avec la propriétaire, nous convenons d’emblée de plusieurs consultations assez rapprochées pour voir ce qu’on peut faire, si les choses semblent vouloir « bouger » un peu, déjà.
Photo 1
Photo 2
Photo 3
Consultation ostéo à J 0 :
La FTM est très élevée, des tensions sont trouvées également en T12-T13 et sur la SSB.
Lors de cette première consultation, et dans les suivantes, je n’ai jamais vraiment ressenti de fortes dysfonctions localisées classiques. En revanche, il y a une nette différence entre l’avant où le MRP est faible mais présent, tandis qu’ à partir des lombaires, sur le bassin et les membres postérieurs, je n’ai « rien ». Je travaille un peu en aveugle, en partant du principe que de toute façon, comme on m’a dit un jour, les mains doivent bien travailler quand même. (« Seul les tissus savent… »). J’essaye seulement d’optimiser présence, attention et intention (en l’occurrence, celle de relancer le mouvement, de façon non spécifique).
Aucun changement en fin de séance. Je prescris Moelle Epinière 9 CH matin et soir, et conseille à la propriétaire de faire des mobilisations passives des membres, chatouiller, tenter de provoquer des réflexes plusieurs fois par jour au cours des câlins, sans forcer.
Consultation à J +9 :
Même posture, le chat se traîne toujours mais amélioration du tonus des membres (ça résiste aux mobilisations passives). La queue rebouge un peu, il semble manifester d’ailleurs un certain agacement au cours du soin.
Une petite plaie de léchage est apparue sur les phalanges du postérieur droit. Traitée avec de la Bétadine et du Calendula en teinture-mère, j’y vois un signe positif de réveil des terminaisons nerveuses, comme pour le fouaillement de queue.
La FTM est très élevée, le MRP global semble plus ample. J’essaye de le relancer à l’arrière, ainsi que sur les postérieurs.
On continue Moelle Epinière, et la « physiothérapie maison ».
Consultation à J +16 :
Les progrès sont assez marqués : la station debout est fragile mais possible. Oliver tient debout quelques secondes puis retombe. Il ne marche pas. Le tonus musculaire est meilleur, les réflexes sensitifs et moteurs reviennent un peu. La plaie aux doigts guérit. Cf Photo 4 + film 1
Photo 4
Film 1
Consultation à J + 1 mois :
Nette amélioration : Oliver tient debout durablement, il se rassoie quand même au bout d’un moment, mais il marche désormais, explore la salle de consultation, son attitude a changé mais la démarche est encore raide. Le poil a meilleur aspect en région lombaire. Cf photo 5 et film 2.
Un travail en MRP est réalisé sur le sacrum, les racines nerveuses lombaires et sacrées (queue de cheval), les postérieurs en global et sur les différents méridiens (méthode très, très empirique…)
Des dysfonctions sont trouvées et traitées en fascial sur T9-T10 et la 10ème côte.
Moëlle Epinière 9 CH est toujours donnée, une fois par jour désormais. Et la physiothérapie quotidienne consiste maintenant à l’encourager à marcher, jouer, etc…
Photo 5
Film 2
Consultation à J +1,5 mois :
Oliver marche mieux et plus longtemps, il trottine, il s’étire parfois désormais, les demi-tours sont plus assurés et il mange davantage. Les pattes chancellent encore parfois, il ne saute pas et ne monte pas les escaliers.
Le travail en ostéo est similaire aux consultations précédentes, sans dysfonctions majeures. La FTM est mieux (pas plus de critères pour moi).
On continue l’organothérapie une fois par jour.
Consultation à J +2,5 mois :
Dernière consultation en date, simplement pour vérifier à ce stade la pérennité du soin.
Il saute désormais du canapé pour descendre (mais ne monte pas), court et rejoue régulièrement. La démarche est moins raide. La queue est plus souple et bouge bien. Le poil a bien meilleur aspect. Cf photo 6 et film 3.
Le MRP global est bon, cette fois (pour la première fois).
Photo 6
Film 3
Discussion
Il faudra voir avec le temps si ça tient sur la durée. Dès les premiers signes de rechute, il faudra réévaluer la situation. Un contrôle préventif trimestriel est proposé. Mais d’un autre côté, il serait aussi intéressant d’ici quelques mois de refaire des radios pour voir si on observe des modifications au niveau des lésions arthrosiques. Dans un sens comme dans l’autre, d’ailleurs.
Ce cas clinique n’est pas très détaillé en termes de dysfonctions rencontrées, et je n’ai pas d’échelle de FTM. Je dois reconnaître qu’en général j’essaye de rester dans quelque chose d’assez intuitif, en essayant de ne pas trop analyser, et en partant du principe que je suis capable de ressentir (et de traiter) uniquement ce que je suis censé faire.
Peut-être qu’un résultat plus rapide aurait été possible avec une consultation plus cadrée, ou plus précise.
Dans ce cas, et pour mon référentiel, il s’agissait surtout d’essayer de relancer un mouvement vital absent dans toute une partie du corps, en travaillant au fur et à mesure sur certaines structures plus précisément. Plus exactement, je devrais dire optimiser la vitalité restante, proposer de mobiliser les ressources, en faisant abstraction du pronostic classiquement attribué à ce genre de situations (radios à l’appui). Dans cette intention globale uniquement.
A titre personnel, ce cas clinique m’aura surtout permis d’insister sur les notions de présence, d’attention, et d’intention (cf Approche tissulaire de Pierre Tricot). Pas une intention de réussite, simplement l’intention d’essayer, de proposer.
Mais également de réfléchir à la frontière si mince entre d’un côté le fait de croire qu’une chose est possible et qu’on est peut-être capable de la permettre (en oubliant les limites qu’on pense connaître), et de l’autre le piège de croire l’ostéopathie capable de réaliser régulièrement toute sorte de miracle médical.
Essayer et voir. Y croire sans espérer. Et une question : si les seules limites sont celles que l’on se donne, est-ce que le résultat thérapeutique ne dépend que de ce mélange subtil entre confiance et humilité ?
Et là je m’en excuse d’avance mais comme la réponse, si tant est qu’elle existe, risquerait d’être un peu longue, je voudrais citer Jean-Claude Dusse, qui dans « Les bronzés font du ski », proposait une réponse plus simple à ce genre de questionnements :
« Oublie que t’as aucune chance, vas-y, fonce. On sait jamais, sur un malentendu ça peut marcher. «
Je voudrais avoir une pensée pour Quentin, parti récemment pour d’autres horizons. Il est parfois difficile de trouver sa place en ce monde. Certaines personnes semblent destinées à toujours la chercher. Parfois on croit trouver des réponses, puis on les perd et de temps en temps on se dit qu’on en trouvera jamais. En fait, souvent on se trompe, dans un sens ou dans l’autre. Mais c’est peut-être pas si grave. « On ne va jamais aussi loin que lorsqu’on ne sait pas où on va », aurait dit Christophe Colomb.