« Quand un poison de l’esprit se manifeste (avidité, haine, peur, jalousie, etc.), aussi bien chez nous que chez une autre personne, la démarche à suivre peut se décomposer en trois étapes : sentir, voir, compatir.
Premièrement, sentir le poison, le goûter pleinement. Supposons par exemple qu’un violent sentiment de jalousie nous saisisse à la vue de quelqu’un possédant quelque chose que nous n’avons pas. Ne fuyons pas, ne nions pas, ne passons pas à l’acte en entrant en compétition, ou en agressant, ou en redoublant de gentillesse pour compenser. Restons dans l’émotion. Donnons lui son nom. Soyons totalement présents à la qualité brûlante, piquante, irritante, claustrophobique, étouffante de ce sentiment. Plongeons complètement dans l’expérience de la jalousie.
Deuxièmement, regardons clairement et nettement la nature parfaitement vide et illusoire de la jalousie (ou de la colère, ou de la peur, etc.). L’autre ne possède aucun objet dont je manquerais. L’autre, comme moi, n’a jamais que des instants de vie. Il est dans sa vie et je suis dans la mienne. Comme je ne fais qu’un avec mon propre monde, lorsque je l’envie, je me divise contre moi-même, je fabrique de la souffrance. Il n’y a aucun objet, seulement des âmes qui projettent des mondes, c’est-à-dire qui perçoivent, souffrent et aiment. Ces âmes sont Lumière et leurs mondes illusions colorées. Au lieu de rester fascinés par les apparences des phénomènes, retournons-nous vers la lumière de l’instant.
Troisièmement, ayons de la compassion pour notre propre souffrance (ou pour celle de l’autre si c’est lui qui est jaloux). Plutôt que de nous culpabiliser, consolons-nous, soyons gentils avec nous-mêmes. Aimons nous. C’est d’amour que nous avons besoin, non de la douleur supplémentaire de penser que nous sommes mauvais, imparfaits, etc. (ou que les autres le sont !)
Il est important de sentir avant de reconnaître la nature vide de la souffrance. En effet, si l’on ne sent pas, si l’on n’est pas présent, l’idée du vide ne sera qu’une fuite, une construction conceptuelle. Nous ne saurons même pas dans quelle situation nous sommes.
Il est également capital d’associer la compassion à l’intelligence du vide. Si nous reconnaissions le vide de nos objets d’agressivité ou d’avidité et que nous en concluions à notre stupidité fondamentale (ou à celle des autres), nous ne ferions qu’ajouter de la souffrance à la souffrance. « Nous » ne sommes pas ignorants ou absents parce que « nous » (notre ego) ne sommes pas plus substantiels que nos objets. Et la lumière que nous sommes réellement n’est pas stupide. En fait, au cas où nous nous jugerions stupides, ou mauvais, ou bien si nous jugions ainsi les autres, nous ne serions pas dans la véritable intelligence du vide. La sagesse discriminante s’accompagne nécessairement de compassion.
Enfin, une compassion automatique, immédiate, sans espace, qui s’exercerait avant de sentir et avant de reconnaître le vide des phénomènes, serait simplement le trait d’un ego, une figure de l’aveuglement. La compassion est un prolongement naturel de la sensibilité, de la tendresse du cœur, d’une douloureuse vulnérabilité. L’être véritablement compassionné ne peut être que pleinement présent à la vérité des situations et attentif à déjouer tous les tours de l’ego.
La « sainte trinité » se décline donc ainsi : présence, intelligence, compassion.
La présence implique la sensibilité, la vulnérabilité. Etre là, c’est se mettre en position d’être touché. Cette présence du coeur, ou pleine conscience, est la racine de toutes les vertus.
L’intelligence discriminante permet de voir le vide de tout ce qui alimente l’ego et la souffrance. Une intelligence qui ne mène pas à la compassion n’est pas de l’intelligence. Une faculté qui augmenterait la souffrance n’aurait de l’intelligence que le nom.
Ainsi, la présence ou l’ouverture du coeur est l’antidote de l’ignorance, de l’illusion, ou de l’absence. Etant présents, nous ne sommes pas des morts-vivants. L’intelligence discriminante est l’antidote de la passion et de l’agression puisqu’elle révèle le vide des objets. La compassion, enfin, comprend et guérit la souffrance. Elle arrête la propagation de l’incendie en absorbant le feu de la douleur. Elle fait vivre les âmes dans leur véritable milieu qui est l’amour. Présence, intelligence et compassion forment les trois faces du même joyau.
Merveilleux contre-feu de l’incendie de la souffrance qui ravage le monde, la présence, l’intelligence et la compassion sont le combustible, la lumière et la chaleur du même feu libérateur. »
« »J’existe » est le titre le plus haut. Tout ce qu’on y ajoute le ternit. »