Réflexions sur le champ de pratique en ostéopathie

Exemple des travaux du Dr Lisa Hodge

Titre de l’article: Réflexions sur le champ de pratique en ostéopathie : Exemple des travaux du Dr Lisa Hodge

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Nom auteur et rangs universitaires : Jerry Draper-Rodi, DO, DU (anatomie clinique), DU (anatomie appliquée à l’examen clinique et à l’imagerie médicale), PG Cert Research methods

Affiliation : The British School of Osteopathy, Londres (Grande-Bretagne)

Publication antérieure similaire : Rodi J. Expanding the evidence base for osteopathic medicine – lymphatic pump treatment, the lymphatic and immune systems. Research and Treatment Bulletin. International Journal of Osteopathic Medicine. 2010;13(3):99.

Coordonnées de l’auteur : Jerry Draper-Rodi, J.rodi@bso.ac.uk  

Déclaration : Je déclare que le manuscrit a été lu et approuvé par l’auteur, Jerry Draper-Rodi.

Remerciements chaleureux pour leur relecture attentive à Anne Benoit DO, Léonore de Saint Gerand DO, Raphael Hauser DO et Bruno Landais DO.

Résumé

Dr Lisa Hodge
Dr Lisa Hodge

La prise en charge ostéopathique a été limitée aux troubles fonctionnels en France sur le postulat que certaines techniques ostéopathiques pourraient aggraver l’état du malade.
Lisa Hodge, docteur en microbiologie and immunologie, effectue de la recherche en ostéopathie à l’Osteopathic Research Center (Etats-Unis). Les travaux de recherche de son équipe portent sur les techniques de pompage lymphatique et leurs effets immunitaires chez l’animal. Ces études sont utilisées comme outil de réflexion sur le champ de pratique ostéopathique et le risque de l’usage de techniques ostéopathiques.
Les travaux de l’équipe du Dr Hodge montrent chez l’animal que les techniques de pompage lymphatique augmentent l’écoulement dans le conduit thoracique et la concentration de cet écoulement est augmentée en lymphocytes. Ces techniques peuvent favoriser l’élimination des bactéries de la pneumonie, réduire les phénomènes inflammatoires associés aux infections pulmonaires chroniques et inhiber la formation de tumeurs pulmonaires.
Ces nouvelles données que nous offre la recherche ostéopathique basée sur les preuves, sont en contradiction avec les croyances de la profession et du système biomédical. La profession ostéopathique craint peut-être d’être moins efficace que d’autres thérapies. Elle doit apprendre à se promouvoir au travers d’études récentes pour éviter de voir son champ d’action encore plus restreint.
Mots-clefs : Pompages lymphatiques, immunité, traitement manuel.
Article title: Reflexion on osteopathic scope with reference to Dr Lisa Hodge’s laboratory studies

Abstract

Osteopathic scope of practice in France has been narrowed to functional disorders based on the premise that certain osteopathic techniques may worsen patient health.
Lisa Hodge, PhD in microbiology and immunology, carries out research at the Osteopathic Research Center (USA). Dr Hodge’s team has studied the effects of lymphatic pump techniques on animals’ immune systems. These studies are used as a basis for reflection on osteopathic scope of practice and the risks of using osteopathic techniques.
Dr Hodge’s team has shown that lymphatic pump techniques increase the lymphatic flow in the thoracic duct. Leukocyte count and flux are also increased in thoracic duct lymph during lymphatic pump techniques. These techniques reduce pulmonary disease, enhance anti-tumour immunity and reduce solid tumour formation.
These new pieces of evidence go against current osteopathic and biomedical thinking. Osteopathy may suffer from a belief that it is less effective than other therapies. The profession needs to learn to promote itself through research to avoid seeing its scope of practice further restricted.
Keywords: Lymphatic pump techniques, immunity, manual therapy

Réflexions sur le champ de pratique en ostéopathie, exemple des travaux du laboratoire du Dr Hodge

Dr Lisa Hodge
Dr Lisa Hodge

Au début du siècle dernier, l’ostéopathie avait un champ d’action vaste et était considérée comme efficace, par exemple, contre les pathologies organiques et les infections.

Pour ne citer que quelques exemples, en 1937, Arthur D. Becker, DO, écrivait un article sur l’approche ostéopathique du rhume [1]. Il prenait en compte la genèse de la maladie plutôt que de voir le virus ou la bactérie comme étant la simple cause.

En 1938, Hazzard, DO, déclarait même que « a force principale de l’ostéopathie est de stimuler toutes les défenses naturelles du corps contre la maladie » [1] (traduit de l’anglais par Jerry Draper-Rodi).

Still décrivait les signes et approches ostéopathiques possibles de la grippe. [2] « Après avoir ajusté toutes les structures et obtenu une condition parfaitement normale dans cette partie du thorax, j’ai dans tous les cas obtenu un premier soulagement. L’irritation stimule le système artériel, le forçant à un degré d’action plus élevé, tout en gênant ou arrêtant le drainage du sang veineux et des autres liquides qui devraient revenir au cœur. »,

Litton, en 1942, déclarait que « L’un de [ses] passe-temps a consisté à interroger des médecins ostéopathes à propos de leurs expériences avec la pneumonie, particulièrement ceux qui exercent dans les communes rurales et qui ont une pratique généraliste. Ce qui [l]’a impressionné, c’est leur enthousiasme commun à propos des manipulations dans les cas de pneumonie » [3] (traduit de l’anglais par Pierre Tricot).

Le choix des techniques employées par les praticiens ainsi que la fréquence des traitements évoluaient en fonction des différents stades de la maladie. Middleton rapporte en 1957 que « John Martin Littlejohn soulignait constamment l’efficacité de la prise en charge ostéopathique aux débuts de la maladie où les processus pathologiques correspondaient à une modification de la physiologie normale, ou, comme il la nommait, la phase d’« hyperphysiologie ». Si la maladie avait évolué à un stade organique ou d’« anatomie morbide », le traitement aurait été différent » [4] (traduit de l’anglais par Jerry Draper-Rodi).

Actuellement la vision biomédicale contre-indique la prise en charge ostéopathique de maladies, comme les pathologies infectieuses, par principe de précaution. Certaines techniques ostéopathiques pourraient aggraver l’état du malade, ainsi dans le cas d’une pathologie infectieuse favoriser la diffusion du germe ; ce qui nous a conduit à la situation actuelle en France où la prise en charge ostéopathique est légalement limitée aux troubles fonctionnels [5].

Le manque de recherche empêche de contrer ce principe de précaution mais la récente recherche du Dr Hodge et de son équipe nous le permettra peut-être dans un futur proche. Lisa Hodge possède un doctorat (PhD) en immunologie et microbiologie. Elle a mené des études sur la grippe et le cancer avant de rejoindre l’Osteopathic Research Center (États-Unis), où elle a conservé ses méthodes de recherche d’immunologiste, dont la recherche sur animaux. Sa recherche se porte désormais sur les techniques de pompage (LPT) et leur effet sur les systèmes lymphatique et immunologique. En axant la recherche sur d’autres systèmes que le système musculo-squelettique [7] les travaux de l’équipe du Dr Hodge permettront peut-être d’élargir la prise en charge ostéopathique.

Still déclarait les pompages lymphatiques (PL) efficaces dans le traitement de la grippe [2]. Hodge et son équipe ont alors débuté un travail important sur ce sujet. Leur but est d’évaluer l’efficacité de l’ostéopathie sur l’adaptation de la réponse immunitaire contre des phénomènes infectieux et inflammatoires [7]. Leurs études ont d’abord été menées sur des chiens [8, 9] puis reproduites sur des rats [10] afin de voir si les résultats étaient transposables pour des raisons de moyens. Les résultats se sont montrés équivalents bien que ces espèces soient très différentes (comme par exemple pour leur gestion d’équilibre) ce qui confirme que ces résultats soient peut-être applicables à l’Homme.

Son équipe a d’abord recherché si les PL augmentaient l’écoulement dans le conduit thoracique [8]. L’écoulement lymphatique a été mesuré sur des chiens grâce à un capteur de débit à ultrasons placé chirurgicalement : des mesures ont été effectuées au repos et pendant deux sessions de PL (thoracique et abdominal). Les PL ont créé une augmentation de l’écoulement par rapport au repos (résultats dans tableau 1).

Leur deuxième étude [9] a consisté à analyser la composition de cet écoulement lymphatique. Les conduits thoraciques de huit chiens ont été cathétérisés afin que les effets immédiats des PL sur l’écoulement et le débit de leucocytes puissent être mesurés. Une augmentation importante du nombre de leucocytes dans le conduit thoracique a été notée (résultats dans tableau 1). Cette augmentation s’est révélée similaire pour les macrophages, neutrophiles, lymphocytes (tous confondus). Ceci explique peut-être l’augmentation de la réponse immunitaire et la rapidité de guérison lorsque les patients infectés sont traités par PL.

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Un mécanisme possible de cette augmentation de cellules immunitaires lors des PL pourrait être un effet siphon au niveau des ganglions lymphatiques. Dans une étude suivante, les cellules dans les ganglions lymphatiques [11] ont été marquées afin de suivre leur éventuel mouvement lors des PL. Les résultats ont montré que les cellules commencent à quitter le ganglion après deux minutes de PL et ce pendant huit minutes. Après dix minutes de PL, il n’y a plus de cellules libérées des ganglions. Des PL renouvelés deux heures plus tard, et à nouveau deux heures après, produisent les mêmes résultats.

L’efficacité des PL sur l’état immunitaire chez des sujets malades a également été examinée. En cas de pneumonie, les PL augmentent la survie et diminuent le nombre de bactéries dans les poumons des rats comparativement au traitement placebo [12]. Ces données suggèrent que les PL peuvent favoriser l’élimination des bactéries de la pneumonie, et réduire les phénomènes inflammatoires associés aux infections pulmonaires chroniques [7].

L’équipe du Dr Hodge vient de terminer une recherche sur les effets des PL sur les cancers [13]. Une des dix découvertes les plus importantes selon Lisa Hodge [14] en 2009 est que l’exercice augmente l’immunité et offrent un meilleur pronostic aux patients atteints de cancer. Comme les PL et l’activité physique augmentent tous deux le débit lymphatique [8], l’équipe de Hodge a alors émis l’hypothèse que les PL pourraient augmenter l’activité immunitaire contre les cellules cancéreuses et favoriser la destruction de ces cellules. Au sein de la profession ostéopathique il est largement admis que les cancers métastasés ou les cancers ayant un risque potentiel de métastaser constituent une contre-indication relative ou absolue à certaines techniques ostéopathiques, dont les PL [15]. Leurs résultats infirment l’idée reçue : l’augmentation du débit de leucocytes a été identique au niveau du conduit thoracique lors de la pratique d’une activité physique ou de PL. Les PL ont également inhibé la formation de tumeurs pulmonaires chez le rat : des PL effectués régulièrement pendant une semaine diminuent de 50% le nombre de cellules cancéreuses dans les poumons du rat ayant des tumeurs pulmonaires et augmentent de 200% le nombre de cellules immunitaires dans les poumons (cellules NK et CD8T, connues pour leur action anti-cancéreuse). L’idée reçue de la diffusion des cellules métastatiques par le biais des PL a également été invalidée : les rats ont été étudiés à une semaine, à la recherche de métastases ; les PL n’avaient alors pas favorisé l’apparition de métastases. Si les résultats se montraient équivalents chez l’homme, cela permettrait de prouver que l’ostéopathie s’adresse à d’autres motifs de consultation qu’uniquement fonctionnels et favoriserait peut-être la présence d’ostéopathes dans les services d’oncologie pour permettre aux patients ayant une incapacité physique (fatigue) ou technique (cathétérisation) de compenser le manque d’activité physique par un traitement ostéopathique, incluant des PL.

Middleton reconnaissait déjà en 1957 que notre connaissance accrue de la maladie nous a rendue peureux . Cette connaissance a fait naître une peur d’être moins efficaces que d’autres thérapies, ce qui explique peut-être pourquoi les ostéopathes États-Uniens ont inclus l’utilisation des médicaments dans leur pratique. De façon interne, la profession doit peut-être digérer cette connaissance médicale afin d’accroitre sa confiance et s’autoriser à regarder en dehors de son champ de pratique actuel afin de l’élargir. De façon externe, l’efficacité de l’ostéopathie sur des systèmes variés, tels musculo-squelettique, immunitaire et viscéral (liste non exhaustive), doit être promue à l’aide d’études récentes pour éviter de voir son champ d’action devenir encore plus restreint.

Références et Bibliographie

1. Patterson, M.M., The osteopathic lesion as a factor in disease. JAOA, 2001. 101(8): p. 456.

2. Still, A.T., Ostéopathie, recherche et pratique, ed. Sully2001, Vannes. 314.

3. Litton, H.E., Traitement manipulatif de la pneumonie. JAOA, 1942.

4. Middleton, H.C., Osteopathy and visceral disease, in The John Martin Littlejohn Memorial Lecture1957, The British School of Osteopathy: London. p. 14.

5. Legifrance, Official journal of the french republic website – décret n°2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d’exercice de l’ostéopathie, 2007.

6. Patterson, M.M., Role of autonomic nerves in the thinking of the osteopathic medical profession. JAOA, 2000. 100(10): p. 646.

7. Hodge, L.M. Lisa michelle hodge phd faculty profile. 2009 [cited last modified 16/02/2010]; Available from: https://experts.unthsc.edu/en/persons/lisa-hodge .

8. Knott, E.M., et al., Increased lymphatic flow in the thoracic duct during manipulative intervention. JAOA, 2005. 105(10): p. 447-56.

9. Hodge, L.M., et al., Abdominal lymphatic pump treatment increases leukocyte count and flux in thoracic duct lymph. LYMPHATIC RESEARCH AND BIOLOGY, 2007. 5(2): p. 127-33.

10. Huff, J.B., et al., Lymphatic pump treatment augments lymphatic flux of lymphocytes in rats. LYMPHATIC RESEARCH AND BIOLOGY, 2010. 8(4): p. 183-7.

11. Hodge, L.M., et al., Abdominal lymphatic pump treatment mobilizes leukocytes from the gastrointestinal associated lymphoid tissue into lymph. LYMPHATIC RESEARCH AND BIOLOGY, 2010. 8: p. 103-110.

12. Huff, J., et al., Lymphatic pump treatment reduces pulmonary disease during experimental pneumonia infection. International Journal of Osteopathic Medicine, 2008. 11(4): p. 149.

13. Hodge, L.M., Lymphatic pump treatment enhances anti-tumor immunity and reduces solid tumor formation in the lungs of rats with pulmonary tumors, in International Conference of Osteopathic Medicine08/04/2011: Florence, Italy.

14. Hodge, L.M., Expanding the evidence base for osteopathic medicine – lymphatic pump treatment enhances the lymphatic and immune systems, in Manus Sinistra08/02/2010: British School of Osteopathy.

Rodi, J., Expanding the evidence base for osteopathic medicine – lymphatic pump treatment, the lymphatic and immune systems. Research and Treatment Bulletin. International Journal of Osteopathic Medicine, 2010. 13(3): p. 99.


Le Site de l’Ostéopathie remercie Jerry Draper-Rodi de l’avoir autorisé à publier cet article. 1ère publication sur le Site de l’Ostéopathie le 24 octobre 2012

 

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