Bien que l’ostéopathie existe aux États-Unis depuis la fin du XIXe siècle, cette profession est relativement nouvelle en France. Elle fut d’abord légalisée en 2002 avec la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (1) puis règlementée par plusieurs décrets et arrêtés, dont ceux de décembre 2014 (2,3) établissant notamment un référentiel pour la formation. L’ostéopathie fêtera donc ses 18 ans cette année, bien moins que d’autres professions comme la masso-kinésithérapie avec ses 74 ans ou la médecine dont les premières traces écrites remontent avec le « Code de Hammurabi » à 1750 av. J.-C.
En France, les patients consultent les ostéopathes directement en première intention sans passer nécessairement par leur médecin traitant. D’après un sondage IFOP de 2016 (4), l’ostéopathie est une profession que les Français estiment bien connaitre et dont ils sont satisfaits à 88%. Ces derniers, d’ailleurs, n’y ont eu recours pour la majorité que lors d’une ou deux consultations pour arriver à ce résultat. Cette efficacité de la part des ostéopathes est un gage de succès accompagné d’un excellent bouche-à-oreille qui leur permet de renouveler constamment leur patientèle. Cependant, pour que les patients soient pris en charge de façon efficace, il faut que les consultations se déroulent dans d’excellentes conditions de sécurité. Ces dernières sont garanties par un niveau de formation élevé des ostéopathes leur permettant d’identifier si le patient présente des signes dont la prise en charge entre dans leur champ de compétence (5). Dans le cas contraire, il faut savoir qu’ils sont tenus « d’orienter le patient vers un médecin lorsque les symptômes nécessitent un diagnostic ou un traitement médical » (5). Ainsi, bien que les ostéopathes ne soient pas à proprement parler des professionnels de santé, ils sont formés tout au long de leurs 5 années d’études (4860 heures de formation pratiques et théoriques) à réorienter leur patient vers un médecin si les circonstances le nécessitent.
Dans un premier temps, nous proposons de détailler la démarche d’examen des ostéopathes qui aboutit à une réorientation potentielle d’un patient vers un médecin. Ensuite, les indications d’une consultation en ostéopathie étant posées, nous aborderons les indications d’une possible réorientation d’un patient par un médecin vers une consultation d’ostéopathie.
Le plus souvent, les patients viennent consulter spontanément des ostéopathes sans passer par leur médecin traitant. Ils viennent principalement pour des douleurs (91.9% des consultations dont 46.7% sont des douleurs aiguës) qui sont dans 62% des cas d’origine musculosquelettique avec essentiellement des rachialgies (42,6%) (6). Ce sont donc ces indications qui font aujourd’hui le succès de l’ostéopathie.
Évidemment, des consultations peuvent aussi concerner des personnes de tous âges et qui sont porteuses ou non d’un handicap, d’une déficience ou d’une incapacité. Les motifs de consultations sont très variés, mais doivent rester dans le champ fonctionnel pour relever d’une indication ostéopathique pour être pris en charge. Pour rappel :
« L’ostéopathe, dans une approche systémique, après diagnostic ostéopathique, effectue des mobilisations et des manipulations pour la prise en charge des dysfonctions ostéopathiques du corps humain. Ces manipulations et mobilisations ont pour but de prévenir ou de remédier aux dysfonctions en vue de maintenir ou d’améliorer l’état de santé des personnes, à l’exclusion des pathologies organiques qui nécessitent une intervention thérapeutique, médicale, chirurgicale, médicamenteuse ou par agent physique » (2).
Ainsi, comme nous le disions précédemment, les ostéopathes sont formés à réorienter les patients présentant des signes évocateurs d’une pathologie organique. En pratique, ils vont effectuer un diagnostic ostéopathique qui comprend lui-même un diagnostic d’opportunité et un diagnostic fonctionnel :
– Le diagnostic d’opportunité est une démarche de l’ostéopathe qui consiste à identifier les symptômes et signes d’alerte justifiant un avis médical préalable à une prise en charge ostéopathique ;
– Le diagnostic fonctionnel est une démarche de l’ostéopathe qui consiste à identifier et hiérarchiser les dysfonctions ostéopathiques ainsi que leurs interactions afin de décider du traitement ostéopathique le mieux adapté à l’amélioration de l’état de santé de la personne.
Ainsi, le diagnostic d’opportunité ostéopathique n’a pas pour objet de déterminer le nom d’une maladie : Il n’est pas un diagnostic médical. L’objectif pour l’ostéopathe est d’établir la nécessité d’une réorientation à visée médicale par l’identification de la présence d’un certain nombre de signes d’alertes associés, voire d’un drapeau rouge. Si la situation lui paraît être urgente, il adressera le patient à un service de secours adapté. Heureusement pour nos patients, cette situation n’est pas la plus fréquente. Le plus souvent, l’ostéopathe rédigera un courrier à destination du médecin traitant pour partager avec lui les informations de santé qu’il a sa disposition selon les conditions du Décret n° 2016-994 du 20 juillet 2016 qui l’y invite (7). Conscients de la place que les ostéopathes occupent en première intention au sein du système de santé, ils s’assurent que les patients qu’ils prennent en charge bénéficient du meilleur rapport-bénéfice risque.
Maintenant que la question de la réorientation des patients par un ostéopathe vers un médecin est posée, il semble intéressant d’aborder une éventuelle orientation par un médecin vers un ostéopathe. Dans ce cas, c’est la question du bénéfice pour le patient qui est doit être posée. Pour déterminer cela, il semble pertinent de chercher des preuves sur l’efficacité du traitement ostéopathique dans la littérature comme ce serait le cas pour déterminer la délivrance ou non d’un médicament.
En 2012, à la demande de la Direction Générale de la Santé, l’unité INSERM 669 du Pr Bruno Falissard a reçu pour mission d’évaluer l’ostéopathie. Un rapport d’une grande qualité méthodologique a été rendu public et constitue un document scientifique de référence encore aujourd’hui pour la recherche en ostéopathie. Il soulignait l’absence de preuves d’efficacité pour la profession ainsi que la présence de risques liés aux manipulations qui justifient à eux seuls l’exigence d’une formation de haut niveau.
Subséquemment, le ministère de la Santé a modifié la formation des ostéopathes en y intégrant ces recommandations de formation de haut niveau pour passer à 5 années d’études obligatoires à temps plein. La question du manque de preuves d’efficacité en ostéopathie, bien qu’elle ne soit pas excusable, s’explique assez simplement à la fois sur le plan méthodologique et du fait des coûts de la recherche. L’ostéopathie contrairement à une grande partie de la médecine allopathique fait partie de la famille des Interventions Non Médicamenteuses (INM) (8). Dans cette famille, on y retrouve par exemple l’Activité Physique Adaptée (APA), la chiropraxie et aussi la kinésithérapie ou la même la chirurgie. Comme le précise le Pr Falissard dans un entretien à Universcience.tv, les INM sont aujourd’hui évaluées comme le médicament : on réalise des essais contrôlés randomisés (ECR) avec un groupe expérimental et un groupe placebo pour comparer statistiquement après un certain temps le pourcentage de patients qui se sont améliorés dans chacun des deux groupes. À la différence du médicament, les INM ne sont pas des soins industriels, car l’efficacité dépend aussi des soignants. Pour lui, cette approche par ECR donne des informations insuffisantes. C’est pourtant comme cela que l’ostéopathie a toujours tenté d’être évaluée jusqu’à aujourd’hui. De plus, comme lui, nous pensons qu’il faudrait y associer des études qualitatives pour évaluer ce que les traitements par INM ont apporté aux patients. Cela permettrait ainsi de comprendre pourquoi les patients viennent en si grand nombre consulter ces différents professionnels. À tout cela, il manque aussi des études de cohortes qui incluraient un grand nombre de patients qui sollicitent des INM pour voir si le bénéfice est présent à court, moyen ou long terme et chez quel type de patient l’indication est la plus efficace le cas échéant.
Les ostéopathes ont maintenant compris que la collaboration avec une majorité de médecins ne se fera qu’après l’apport de preuves de l’efficacité de leur pratique. Cependant pour en apporter, encore faut-il que la profession développe des compétences en matière de recherche scientifique adaptées aux INM.
Ainsi, du fait notamment de l’amélioration du niveau de formation en ostéopathie, de nombreux ostéopathes ont aujourd’hui intégré l’université pour valider des cursus scientifiques. Des initiatives comme la création de l’Institut de Recherche en Sciences Ostéopathiques et Andragogie (IRSOA) ont vu le jour en France pour organiser la recherche en ostéopathie. Cette structure bordelaise est financée par des écoles (EUROSTEO et le Collège Ostéopathique de Bordeaux) et devrait même prochainement pouvoir accueillir un doctorant en partenariat avec une université.
IRSOA en tant qu’institution participe en ce moment d’ailleurs à la recherche scientifique et méthodologique sur les INM pour aider à établir ou éprouver de nouveaux modèles méthodologiques valides dans un contexte non médicamenteux (9). Évidemment, la recherche scientifique coûte beaucoup d’argent et des structures privées comme IRSOA malgré le financement des écoles en disposent de peu ce qui ralentit de façon conséquente son développement. De plus, avec la loi Jardé, la recherche clinique en ostéopathie entre dans le cadre de la Recherche Impliquant la Personne Humaine de type 2 et 3 (10). Bien qu’elle améliore la qualité de la recherche en imposant la soumission du protocole de recherche auprès du Comités de Protection des Personnes (CPP), cette loi a pour conséquence d’augmenter drastiquement le budget recherche avec notamment les coûts des assurances.
Cependant, malgré toutes ces contraintes qui restent cependant des mesures indispensables à l’élaboration de recherches scientifiques de qualité, nous pouvons affirmer que l’ostéopathie est entrée dans une démarche de validation de ses pratiques. Aujourd’hui, elle œuvre d’une part à déterminer les clés de son succès auprès de ses usagers et d’autre part à cerner ses limites et ses indications afin de se faire connaitre, de s’intégrer et de dialoguer au mieux avec les médecins et l’ensemble des partenaires de la santé.
Ainsi, en nous appuyant à la fois sur quelques études scientifiques récentes, mais surtout sur la satisfaction des usagers à partir de soins courants en ostéopathie, nous pensons que des patients peuvent être orientés en confiance vers les ostéopathes pour la plupart des douleurs fonctionnelles aiguës ou chroniques concernant l’axe ou le système appendiculaire. Le choix de l’ostéopathe peut être fait par le bouche-à-oreille des patients, mais aussi après l’obtention d’informations concernant le parcours du professionnel. Sachez quand même que bien qu’un courrier ou une ordonnance du médecin ne soit pas obligatoire pour adresser un patient à un ostéopathe, ce geste est souvent très apprécié par le professionnel qui ne manquera pas si vous le souhaitez de vous adresser ensuite un compte rendu de sa consultation.
Bibliographie
1. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.
2. Arrêté du 12 décembre 2014 relatif à la formation en ostéopathie | Legifrance [Internet]. [Cité 23 janv 2018]. Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2014/12/12/AFSH1426478A/jo/texte
3. Décret n° 2014-1505 du 12 décembre 2014 relatif à la formation en ostéopathie [Internet]. 2014-1505 déc 12, 2014. Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029894161&categorieLien=id
4. UFOF. Sondage Ifop : la notoriété et l’image des ostéopathes [Internet]. UFOF. 2016 [cité 7 janv 2020]. Disponible sur : https://osteofrance.com/actualites/news/2016/09/sondage-ifop-la-notoriete-et-limage-des-osteopathes
5. Décret n° 2007-435 du 25 mars 2007 relatif aux actes et aux conditions d’exercice de l’ostéopathie.
6. Dubois T, Berthiller J, Nourry J, Landurier G, Brière F, Chardigny S, et al. Douleurs en cabinet d’ostéopathie : étude prospective descriptive des motifs de consultations des patients consultant en cabinet d’ostéopathie. Douleurs Eval – Diagn – Trait. nov 2012;13:A59‑60.
7. Décret n° 2016-994 du 20 juillet 2016 relatif aux conditions d’échange et de partage d’informations entre professionnels de santé et autres professionnels des champs social et médico-social et à l’accès aux informations de santé à caractère personnel | Legifrance [Internet]. [Cité 7 janv 2020]. Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032922455&dateTexte&categorieLien=id
8. Congrès ICEPS 2019 – Les Interventions Non Médicamenteuses [Internet]. [Cité 8 janv 2020]. Disponible sur : https://www.iceps2019.fr/
9. Le registre mondial des chercheurs et institutions pour les interventions non médicamenteuses [Internet]. [Cité 8 janv 2020]. Disponible sur : https://www.niri.fr/
10. Ministère de la Santé. Recherches impliquant la personne humaine [Internet]. Ministère des Solidarités et de la Santé. 2020 [cité 8 janv 2020]. Disponible sur: https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/recherche-et-innovation/recherches-impliquant-la-personne-humaine/
Auteurs
Emmanuel Burguete,
Ostéopathe DO, RNCP1 et Doctorant en Sciences de l’éducation. Administrateur IRSOA
Cédric Scribans
Ostéopathe DO, RNCP1, méthodologiste et biostatisticien. Président d’IRSOA
Nous remercions Emmanuel Burguete et Cédric Scribans de nous avoir donné l’autorisation de publier cet article.