La grande Odyssée est une course de traineau à chiens par étapes qui se déroule dans le milieu alpin entre la Savoie et la Haute Savoie, en France. C’est la course « mi-distance » la plus difficile au monde. Ses pistes techniques dans les stations de ski autour du Mont-blanc cumulent près de 11 000 mètres de dénivelé positif et 400 km sur onze jours de course. De quoi parler de ces chiens, athlètes de haut niveau !
Le déroulé de la course est simple : chaque jour se déroule une étape d’environ 30 km avec 1500m de dénivelé positif en moyenne. Les temps de course sont cumulés pour donner le classement final en fonction des catégories, ou classement scratch toutes catégories confondues. Des podiums quotidiens permettent aux concurrents et concurrentes de se mesurer aux différents profils de pistes et des conditions du jour tout en mettant en avant les sponsors, bien souvent liés à la santé canine.
Et le soin du chien dans tout ça ?
Une équipe vétérinaire composée de spécialistes dans chaque domaine (cardiologie, nutrition, orthopédie, ostéopathie, etc) prennent tous les jours soin des sportifs. Le laboratoire Wamine sponsorise la course avec de la phytothérapie.
Au sein de l’équipe vétérinaire, la place de l’ostéopathie se fraye une large route. En effet, déjà cinq vétérinaires ostéopathes sont sur place, en première intention. Les maux généralement traités en ostéopathie sont des boiteries légères, les contractures musculaires, des diarrhées d’effort, certaines entorses d’épaule, etc.
L’ostéopathie en tant que médecine de première intention sur une course internationale a été pour moi une belle découverte. Si l’ostéopathie ne suffit pas à remettre le chien « sur ses pattes », l’équipe vétérinaire possède un hôpital portatif permettant de réaliser échographies, radiographies, prises de sang etc, et décide de retirer l’animal de la course ou non après diagnostic final. Actuellement, seuls les vétérinaires et vétérinaires ostéopathes peuvent intégrer l’équipe vétérinaire de La Grande Odyssée.
La course permet également chaque année à un étudiant vétérinaire de réaliser des batteries de test sur les chiens de sport afin de faire avancer les données scientifiques.
Mais alors, que faire en ostéopathie entre des efforts aussi intenses ?
Mon rôle, en tant que handleuse-ostéopathe, est d’aider le team à rester au maximum de ses performances tout au long de la course. Le handler est au musher, ce que le groom est au cavalier. Le “back up” indispensable.
Mon bagage d’ostéopathe animalière est alors un bonus pour le team. Selon des protocoles précis et dans des temps impartis, je réalise un réveil musculaire et articulaire sur chaque chien avant les départs. Les départs sont généralement très agités et mettent directement les chiens dans un effort intense (augmentation rapide des rythmes cardiaque et respiratoire, effort musculaire en concentrique important, fibres musculaires anaérobies utilisées en priorité, etc). L’objectif du protocole avant effort est de diminuer les risques de blessures.
Au retour de course, je vérifie les chiens en dynamique lors d’un petit trotting qui permet aux chiens de faire une récupération active afin de limiter les courbatures liées à la stase liquidienne.
Entre 4 à 6 heures après la course, j’effectue un check complet des chiens. Je vérifie qu’il n’y ait pas de blessures, de zones inflammatoires, d’urines foncées, de bruits respiratoires anormaux ou d’anomalies du rythme cardiaque qui m’empêcheraient de pratiquer mon protocole de récupération.
On passe donc au massage de récupération. L’objectif ? Détecter précocement les tensions musculaires, les gênes articulaires et réaliser un drainage lymphatique efficace pour permettre aux tissus musculaires de retourner dans l’effort quelques heures après le retour de course sans emmagasiner la lymphe gorgée de déchets cellulaires (acide lactique par exemple).
Et les limites de l’ostéopathie au milieu de tels efforts ?
Certaines manipulations semblent cependant déconseillées. J’ai eu la chance d’avoir une discussion très intéressante autour d’un chien avec Jean-Claude Colombo, Vétérinaire pratiquant l’ostéopathie et formateur en ostéopathie à l’IMAOV. Nous avons partagé une réflexion commune autour des manipulations qui poussent le corps vers une parasympathicotonie qui nous paraissent inadaptées. En effet, le rétro-contrôle classique du corps sur la balance orthosympathique-parasympathique ne devrait pas, selon nous, être perturbé 24h avant un effort intense.
De plus, avec le stress de la course, provoquer à l’aide de manipulations un relâchement parasympathique paraît également contre instinctif, donc contre-productif. Il en va de même pour le travail viscéral qui doit être réalisé avec parcimonie. Le système digestif étant très impacté par l’effort, l’environnement et les pathogènes, un « faux pas » pourrait rapidement provoquer une diarrhée à laquelle on ne s’attendrait pas en consultation classique.
De plus, trop impacter le schéma corporel si proche d’un effort intense va provoquer une fatigue dont l’animal doit se passer.
«Tout est alors une question de dosage et d’équilibrage entre l’orthosympathique et le parasympathique en fin de consultation », Jean-Claude Colombo.
L’importance du repos
Lors de ma participation à la LGO en tant que handleuse-ostéopathe1 l’année précédente, je n’avais pas suffisamment intégré l’importance du repos. Les séances de massage sont, selon moi, indispensables pour le maintien de la performance et de l’intégrité physique des chiens. Cependant, elles ne doivent pas se faire au détriment du repos.
L’importance de la nutrition
L’alimentation : le socle de la santé. Et c’est d’autant plus vrai pour ces sportifs ! Une bonne alimentation de base, permettant de stocker les réserves nécessaires à la préparation d’une telle course est primordiale.
L’appétit peut devenir un véritable problème à gérer sur les événements sportifs pour les mushers. Il est parfois très compliqué de nourrir certains chiens, malgré tous les stratagèmes proposés par les mushers d’expérience ! Le stress, la fatigue et l’agitation sont souvent des facteurs qui limitent la prise alimentaire. Les affections de gastro-entérites sont également très fréquentes dues au nombre important de chiens sur un même site, risquant parfois la déshydratation. L’ostéopathie et la phytothérapie interviennent également à ce niveau, avec de très bons résultats.
Ne pas négliger l’hypoxie d’altitude
En effet, de nombreux chiens viennent de régions avec une altitude proche de zero. La plupart arrivent dans la première station la veille ou le matin même du départ. À l’instar de notre organisme, le chien doit s’adapter à une modification de la teneur en oxygène dans l’air. C’est un point à ne pas négliger dans les quatre premiers jours en altitude, l’hydratation et la bonne gestion de l’effort sont des notions importantes2.
L’accumulation des déchets cellulaires et l’hydratation
Lors d’une course avec des phases “effort intense — repos — effort intense”, l’élimination des déchets cellulaires est difficile pour l’organisme. Négliger ce point, c’est favoriser le risque de fatigue musculaire, d’une inflammation locale ou pire. Une bonne hydratation est indispensable pour l’évacuation de ces déchets. La plupart des mushers utilisent des compléments d’hydratation pour palier au fait que les chiens boivent parfois trop peu dans ces circonstances…
L’accumulation des déchets cellulaires et l’hydratation
Des expériences personnelles ! Ma première année j’étais sur la course avec des huskies de Sibérie, cette année et l’année prochaine avec des Eurohounds, chiens de chasse taillés pour la course. Les différences de gestion d’effort, de récupération et de compensations ostéopathiques sont impressionnantes entre les deux races ! Je teste personnellement mes protocoles sur ces chiens (avec accord du musher et discussions) en essayant systématiquement de m’améliorer et en étant de plus en plus précise et efficace. L’observation est primordiale dans notre métier. Le fait d’avoir autant de chiens réunis pour un même effort et d’en voir les dynamiques me permet d’affiner mon œil et mes mains.
Ce format de course me permet d’observer les résultats directs de mes protocoles. Lors de mes interventions sur les courses “longue distance”, notamment en Norvège et en Suède, mes protocoles sont bien différents mais s’inspirent des résultats observés sur La Grande Odyssée.
De manière personnelle, j’ai de très bons rapports avec l’équipe vétérinaire. Depuis 2 ans, nous travaillons sur certains chiens à quatre mains avec des vétérinaires ostéopathes qui m’apprennent énormément. On échange nos points de vue, nos connaissances et nos résultats sur certaines techniques. C’est d’un enrichissement rare dans ce métier que l’on pratique majoritairement seul au quotidien. Je remercie d’ailleurs toute l’équipe vétérinaire pour leur bonne humeur, nos échanges et sans aucun doute on se revoit l’année prochaine !
Elsa Bouhours Ostéopathe animalière Spécialisée dans le chien de sport et de traineau OA 803
Tous droits réservés Elsa BOUHOURS Pour aller plus loin, n’hésitez pas à me contacter par mail : elsabouhours.osteopathie@gmail.com Mot de l’Ostéo4pattes-Site de l’Ostéopathie : Nous remercions Elsa d’avoir partagé cette expérience avec nous !
- Handleur : Personne embauchée par le musher pour assurer les soins aux chiens ainsi que la mise à l’attelage, le rangement du matériel. Il s’assure du bien-être des chiens et son rôle permet au musher d’avoir des temps de repos pendant les courses.
- Cf. mémoire de fin d’étude d’Elsa Bouhours sur l’ “impact de l’hypoxie d’altitude chez le chien de traineau et valorisation des paramètres d’adaptation et de compensation par l’ostéopathie”, disponible par mail ou sur mon site internet à partir de septembre 2022.